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Une histoire de bouées

Voici venu avril. Sous peu, on reprendra la navigation. Auparavant, dès qu’on le pourra, on échappera dans le fleuve des bouées ici et là, dont on prendra grand soin. Dans mes Quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent, je signale que piloter un navire sur le Saint-Laurent, un des cours d’eau le plus difficiles au monde, au dire des capitaines les plus expérimentés, demande beaucoup d’adresse. En effet, le chenal est tortueux, les courants sont variables et les marées capricieuses. […] Des centaines de pièges jalonnent le chenal : le passage du cap du Corbeau, la barre à Boulard, la traverse de Rivière-du-Loup, les éboulis de Champlain, les hauts-fonds de Cap-Santé, etc. Les bouées seront donc d’un grand secours.

Les premiers jours d’avril, dans les journaux, on nous entretient de bouées et d’ouverture prochaine de la navigation. Mais, déjà le 26 mars 1903, le journal Le Soleil y va de cette nouvelle :

Nous sommes informés par M. J. V. Gregory, agent du département de la Marine à Québec, que le steamer « Druid », du gouvernement, est au quai du Roi, et qu’il a commencé à embarquer les bouées qui seront mises à leur position, aussitôt que la glace du lac [Saint-Pierre] sera descendue. Tous les phares en bas de Québec, et dans le golfe, seront en opération le 1er avril. On ne se rappelle pas dans l’histoire de la navigation que nous ayons eu un printemps aussi hâtif pour permettre l’ouverture de la navigation si à bonne heure.

Le 28 mars 1900, un premier bateau rentre à Québec. Le Soleil est fier de l’annoncer le lendemain. Hier après-midi, on pouvait voir de nos bureaux sur le fleuve, un léger vaisseau, dans le direction de l’île d’Orléans, et se dirigeant à tire de voiles, vers Québec. Nous nous sommes empressés de faire connaître à nos lecteurs l’heureuse nouvelle, qui voulait dire que la navigation est à la veille de s’ouvrir et de donner de l’activité à notre port, si désert depuis de longs mois. Sur la Terrasse, il y avait grand nombre de personnes pour voir arriver le vaisseau de bon augure, une jolie goélette, filant sur notre fleuve, toute voile déployée, comme en plein cœur de l’été. Et ce léger vaisseau, qui s’appelait Marie-Élise, nous arrivait sur lest, du bas du fleuve, semblant tout fier d’être le premier à visiter notre port. Elle est allée mouillée à l’entrée du bassin Louise, où elle prendra un chargement de marchandises de toutes sortes pour les marchands du bas du fleuve. On peut donc s’attendre maintenant à l’arrivée dans notre port de plusieurs de ces goélettes d’en bas, qui ne craignent les glaces, si la débâcle se produisait tout à coup, parce qu’elles peuvent facilement se mettre à l’abri, dans un coin d’anse. Un transatlantique pourrait facilement se rendre jusqu’à Québec, actuellement, prendre un chargement et s’en retourner, car tout le fleuve est libre de glace du Cap Rouge au golfe. Mais ce n’est pas encore l’ouverture de la navigation océanique, et il y a la question des assurances.

Le 9 avril 1898, selon La Patrie, le poseur de bouées doit se mettre à l’œuvre incessamment. Comme nous l’annoncions jeudi dernier, le contrat pour le posage des bouées, cette année, a été accordé à M. Alphonse Monarque, de Sorel. M. Kennedy, ingénieur du havre [de Montréal], a été chargé par le comité de pilotage de voir à ce que les travaux de localisation des bouées commencent sans tarder. Les matériaux se trouvent en entrepôt, à Sorel, Trois-Rivières, Batiscan et Montréal, et M. Monarque s’est immédiatement mis à l’œuvre pour exécuter son contrat.

Trois jours auparavant, toujours selon La Patrie du 9 avril, voilà qu’un navire, le Berthier, s’était risqué de Sorel à Trois-Rivières, même sans bouées et sans phares. Le Berthier a fait son premier voyage à Trois-Rivières mercredi matin, où il est arrivé vers 8 heures. Une foule nombreuse stationnait sur le boulevard [sans doute le boulevard Turcotte] et sur les quais pour être témoin de cet événement, car c’était la première fois qu’on voyait arriver un bateau dans le port le 6 avril. Le plus à bonne heure que la chose est arrivée était, dit-on, en 1878, alors que le premier bateau arrivait le 10 d’avril. Le capitaine Chs. Gouin dit qu’il a rencontré un peu de glace sur le lac St-Pierre et qu’au Port St-François, il n’a pu accoster le quai, qui est couvert de 20 à 30 pieds de glace. Le petit Nicolet est venu accoster le Berthier à l’entrée de la rivière Nicolet pour prendre le fret et les passagers. En revenant de Trois-Rivières, il neigeait à plein temps sur le lac, et bien que les bouées et les phares ne soient pas encore placés, le pilote Laviolette a continué sa course et a pu se rendre ici [à Sorel] facilement.

Le 12 avril 1898, La Patrie constate qu’à Québec, c’est la première fois que la débâcle se fait aussi paisiblement à la Basse-Ville; il n’y a pas eu d’inondation. Les bateaux passeurs, le Queen et le Pilot, étaient hier matin à leur poste et faisaient le trajet entre les deux rives comme en été. La navigation est donc définitivement ouverte. La petite flotte qui a hiverné dans le Bassin Louise se mettra à la besogne cette semaine. Le fleuve est couvert de glace, mais les bateaux passeurs font le service comme si rien en était. C’est la glace des Grondines, Batiscan, etc., qui descend. La glace du lac St-Pierre, qui est la dernière à passer, n’a pas encore fait son apparition. L’on est d’avis qu’elle passera aujourd’hui devant notre ville. Les bateaux actuellement dans le bassin Louise attendent le passage de cette glace pour sortir de leur prison. M. Gregory disait ce matin que toutes les bouées étaient prêtes et qu’il attendait le passage de la glace du lac St-Pierre pour aller les poser. Les steamers Druid et Aberdeen transportent les bouées dans le bas du fleuve. M. Gregory est d’avis que des transatlantiques seront dans notre port avant dix jours, car les armateurs de Montréal et de cette ville vont télégraphier en Angleterre que le St-Laurent est libre de glace.

Il faut savoir que, si un transatlantique subit une avarie dans les eaux du fleuve Saint-Laurent à cause des glaces, la compagnie d’assurance Lloyd’s de Londres refusera toute réclamation.

Finalement, le 20 avril 1900, La Presse est fière d’annoncer l’ouverture de la navigation à Montréal. Température idéale, aujourd’hui, pour l’ouverture de la navigation. La jetée de protection est le rendez-vous de centaines de personnes qui attendent, les yeux fixés vers l’Est, l’arrivée du ou des premiers vapeurs de la saison. M. J. Kennedy a dit ce matin au reporter de « La Presse » que 450 hommes sont actuellement occupés à briser les blocs de glace échoués sur les quais. Le premier vapeur qui entrera au port, cette année, sera très probablement le Saint-Laurent… un nouveau bateau qui a été construit cet hiver; il a 160 pieds de longueur, et fera le service entre Montréal, Berthier et les ports intermédiaires. […] D’autre part, la compagnie de navigation Richelieu et Ontario attend, vers quatre heures, l’arrivée des vapeurs Longueuil, Hochelaga et Cultivateur. La navigation peut donc être déclarée ouverte dès aujourd’hui.

 

Les deux photographies de bouées sur les quais de Québec sont bien sûr contemporaines; elles furent prises le 3 décembre 2011. Sur celle du bas, on aperçoit, accosté, le Des Groseillers, l’un des brise-glaces de la Garde côtière.

6 commentaires Publier un commentaire
  1. St-Joseph,Lac Huron
    Nous sommes de retour au chalet pour le congé pascal. Comme pour les Sherbrookois d`antan je fais moi aussi du lèche-vitrine. Assis en face du lac,café en main,je regarde passer les saisons qui rythment notre vie. Je me suis levé tot ce matin. Je voulais regarder le coucher de lune sur le lac. Hier soir le ciel clair et étoilé était rempli de promesses Et je n`ai pas manqué mon coup C`était magnifique. De plus en bonus deux lumières très brillantes flottaient sur le lac. Des pecheurs avaient tendu leurs filets .Le lac Huron n`a pas gelé cette année(situation exceptionnelle) et la saison de la peche commerciale a commencé bien plus tot. Ici la peche se fait autant la nuit que le jour. Mais cette peche est en déclin. Ce n`est pas par manque d`engouement des gens pour le poisson frais(surtout de la perchaude et du poisson blanc) mais la pollution et la surpeche ont tué cette manne naturelle. Quand les premiers québécois ont défriché ce coin de pays au 19ième siècle l`on pechait sur le lac à la chaudière tellement le poisson était nombreux.
    Il y a quelques printemps,en marchant sur la plage,j`ai découvert une immense bouée qui s`était échouée. Ces objets sont immenses. Surement 5 mètres de haut avec une base d`à peu près de la meme dimension. Tout un mastodonte! Je ne connais pas l`utilité de ces bouées sur les Grands Lacs. Est-ce pour délimiter la frontìère américaine qui est devant moi à l`horizon! Ou bien indiquer les hauts-fonds pour les lacquiers qui sillonnent cette mer d`eau douce(Expression accordée à Etienne-Brulé,cet explorateur francais du 17ième siècle qui aurait pagayé sur celui-ci avec ses alliés les Hurons) ou enfin est-ce pour indiquer le chenail aux bateaux qui veulent accoster à certains ports de la cote. Toujours est-il que cette bouée n`était pas à la bonne place ….et fait encore parler d`elle 15 ans plus tard
    Bonne journée et bonne chance dans ton entrevue
    Jacques

    5 avril 2012
  2. Jean Provencher #

    Merci, monsieur Jacques. Bonne journée à vous aussi.

    5 avril 2012
  3. Mildred. #

    Ce midi je suis descendu voir le fleuve depuis la terrasse et j’ai bien l’impression que les glaces sont passé.
    Je n’ai jamais noté depuis 84, que la date pour fermer le chauffage et l’enlèvement des châssis doubles: de même que le « der des der » pour commencer à chauffer en automne,habituellement ça commence vers le quinze de septembre,pas moyen de l’oublier c’est mon aniversaire.
    Alors les colibris ben…
    j’ai acheté aux aubaines un abreuvoir qui conviendra je l’espère quoi-que j’en doute ;
    mais on verra bien ;
    je laisse toujours la chance aux coureurs.

    5 avril 2012
  4. Jean Cloutier #

    Votre article est très intéressant et encore très d’actualité.
    À l’époque, la pose des bouées et l’arrivée des transatlantiques correspondaient au retour à la vie suite à un hiver qui avait gelé plusieurs activités commerciales.
    Même que la remise de la canne au pommeau d’or avait été instauré pour encourager les capitaines à essayer d’arriver à Québec le plus tôt possible en saison.
    Aujourd’hui nous naviguons toute l’année, il y a donc moins de fébrilité avec la pose des bouées, mais quand même, cette activité printanière annonce la belle saison pour les marins.
    Pour ce qui est de la glace du Lac St-Pierre, c’est encore une réalité aujourd’hui. Lorsque ces battures se défont et commencent à descendre vers la mer, nous devons piloter avec prudence, surtout les petits navires ayant aucun renforcement pour la glace. Cette glace d’eau douce est aussi dure que de la roche, c’est comme rencontrer des cailloux flottants !

    J’arrive de 3 jours de recherches aux archives nationales de Ottawa.
    Voici une photo provenant de ces archives montrant le quai du roi (la garde côtière aujourd’hui) avec les bouées en 1908.
    Pratiquement à l’époque de vos articles de journaux.
    À remarquer le système de rails avec les petits chariots pour déplacer les bouées vers le poste de chargement sur les navires du gouvernement.

    C’est toujours un plaisir pour moi de vous lire
    Cordiales salutations
    Jean Cloutier
    Pilote de Bas Saint-Laurent

    6 avril 2012
  5. Jean Provencher #

    Hé, merci beaucoup, cher Monsieur Cloutier, pour votre message qui ajoute à notre connaissance de la vie sur le fleuve aujourd’hui même, et merci de ce document historique magnifique.

    7 avril 2012

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