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Qu’est-ce donc que le génie ?

Le doigt dans la prise de courant

En 1898, Pierre de Labriolle (1874-1940), reçu agrégé des lettres en France trois ans plus tôt, à l’âge de 21 ans, vient créer et inaugurer la chaire de littérature française à l’Université Laval de Montréal. Il demeure trois ans dans la métropole et aime donner, à l’occasion, et avec raison, je trouve, des conférences pour le grand public.

Voici que, le 11 février 1901, il y va d’une réflexion sur le génie, événement bien rare, même dans l’ensemble de nos sociétés occidentales d’alors, comme dans celles d’aujourd’hui d’ailleurs. Un journaliste de La Patrie assiste à la rencontre et rédige un article publié le lendemain.

L’idée soutenue par le professeur fut en résumé celle-ci : Au fond de toute création (or le génie est essentiellement créateur), il y a un acte de l’imagination qui sert comme de moteur ou de point de départ à l’œuvre. Cela est facile à démontrer pour la littérature et l’art, mais cela est vrai aussi pour la science.

Par exemple dans les sciences de faits (chimie, physique, etc.), l’hypothèse qui dirige les recherches du savant est très généralement l’œuvre de son imagination. M. de Labriolle le prouve par une série d’exemples et de témoignages. Ainsi, Pasteur a pu dire « Les illusions de l’expérimentateur sont une partie de sa force : ce sont les idées préconçues qui lui servent de guide. » On constate chez tous les génies cette puissance créatrice de l’imagination. Une fois l’illumination venue, une mise en œuvre patiente et laborieuse réalise l’idée.

L’action de l’imagination créatrice s’effectue ordinairement dans une effervescence passagère qu’on appelle l’inspiration; le phénomène de l’imagination a été scientifiquement « constaté », ou du moins un faisceau de témoignages ne nous laissent aucun doute sur sa réalité. Le professeur le décrit et en analyse les caractères ordinaires; le phénomène a-t-il été scientifiquement expliqué ?

Beaucoup d’explications ont été proposées en ces derniers temps (V. Ribot : « Essai sur l’imagination », Paris, 1900); mais aucune n’est concluante.

En somme, on a réussi assez bien à analyser le mécanisme du génie, mais son essence nous échappe toujours. Il est bon de le noter, puisque savoir qu’on ignore une chose est déjà un gain.

D’ailleurs l’obscurité même dont le génie est enveloppé lui laisse une poésie puissante qui a son prix et il ne peut nous déplaire, conclut le professeur, que la plus haute manifestation de l’esprit humain garde quelque chose de la majesté un peu mystérieuse d’une force de la nature.

 

Allez, faisons un peu plus long aujourd’hui, attardons-nous à la création. Bien sûr, de Labriolle ne vide pas le sujet. Qui d’ailleurs arrivera un jour au bout de l’explication ? Mais cette quête me passionne.

Il m’est arrivé, et je le maintiens, de dire que si j’avais à partir pour une île déserte avec un seul de mes milliers de livres, j’aurais en main Le Cri d’Archimède de ce cher Arthur Kœstler, publié chez Calmann-Lévy, paru d’abord originellement en 1964 sous le titre The act of creation. L’ouvrage est disponible aux Éditions Les Belles Lettres depuis 2011.

Plus de 400 pages, à l’occasion exigeantes, je le confesse, sur ce monde où l’habitude succombe à l’originalité, où on parle de l’étonnement, de l’émerveillement, de la périodicité rythmique, des archétypes, du «voyage». Et, pour qui sait lire, il s’agit d’un véritable livre de sagesse, aussi grand que tous les autres, si jeune soit-il.

Ce livre présente une théorie de la création, de la découverte, démontre que toutes les activités créatrices ont une structure fondamentale commune, la «bissociation». L’acte créateur consiste à relier deux matrices, deux niveaux, deux plans jusque là apparemment non reliables. L’être créateur ne crée pas à partir de rien; il découvre en reconnaissant, mélange, combine, synthétise des faits, des idées, des facultés, des techniques qui existaient déjà. Et le tout découvert apparaît d’autant plus étonnant que les parties nous sont familières.

Dans Pantoute Le Bulletin (Québec, no 5, avril-juin 1981), j’écrivais : Dans l’amas de livres qui sortent et nous sollicitent, alors que nous sommes toujours à courir après le dernier paru, il devient important de vite reconnaître ceux qui nous sont essentiels. Celui-ci en est un.

Coup de chapeau à ce cher Arthur, en passant. Davantage reconnu comme romancier. Mais je l’aime mieux comme essayiste. Comme Jung, par exemple, il a aussi essayé de déshabiller ce que nous appelons les hasards, auxquels il ne croit pas. Et, depuis la lecture de son livre sur les hasards, jamais je ne suis autant troublé qu’au moment où l’un d’entre eux se présente.

Il faut entendre ces quêteurs d’humanité, ces acharnés de la réflexion sur la bête humaine.

L’image ci-haut est un gros-plan de La Création d’Adam peinte par Michel-Ange sur la partie centrale de la Voûte de la chapelle Sixtine au Vatican.

5 commentaires Publier un commentaire
  1. josee jacinthe #

    j ai ce livre dans ma bibiothèque. j ai reconnu la jaquette – le titre ne m aurait rien rappeé de spécial je crois. c est que je ne l ai pas lu ou bien que très partiellement akirs, oui, ça m arrive.

    ah timing ! aussi appellé hasard ou même destin. perso, je le prend comme un feu follet, mais… parfois alimenté de main d’ homme.

    j achète mes livres sur recommandation, critiques, hasard, coup de coeur, vente de garage sur mon chemin et que sais-je et, parfois, je les lit des années après achat. ici franchement, je ne me rappelle pas ce qui a mené ce titre chez moi mais ses parges cornées confirme qu on l a déjà bien aimé.

    quoi qu il en soit, c est entendu que je m y remet. mais peut-être juste cet été, sous mon arbre, vent à l appui…

    merci de votre disversité, ici. très sympa.

    17 février 2012
  2. Jean Provencher #

    Merci, chère vous. Remettez-vous à ce livre seulement lorsque vous en aurez envie. Il demande collaboration de la lectrice, du lecteur. Ce n’est pas de l’eau de rose.

    17 février 2012
  3. Louise #

    Si l’île déserte m’était offerte, je la rejoindrais bien vite avec l’intégrale de Colette et Le Survenant.

    18 février 2012
  4. Jean Provencher #

    Vous avez bien raison, chère Louise. Mais si vous me demandiez de choisir entre les deux, ce serait Le Survenant. Quelle belle écriture de Germaine Guèvremont et quelle connaissance, dans les plus infimes nuances, de son milieu naturel !

    18 février 2012

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