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Le délire en art

En art populaire, pourquoi n’y aurait-il pas place à la fantaisie ? Chacun peut y aller selon son bon vouloir. Et libre à nous d’adhérer.

Un ami, ornithologue sérieux comme tout, bien agacé, fatigue de voir les oiseaux ainsi représentés. «Pourquoi, demande-t-il, ne s’en tiennent-ils pas aux oiseaux existants ?» Beaucoup de sculpteurs, en effet, tentent d’approcher le plus près possible la réalité; certains y arrivent à merveille. Mais d’autres, manifestement, préfèrent le vaste champ, ne pas s’attarder à reproduire le réel, veulent la pleine liberté.

Voyez ce que dit un sculpteur de Saint-Ulric de Matane, Léonce Durette, tout un oiseau lui-même : «Moé, j’marche pas à peu près avec des modèles. Ce que j’fais, c’est tout sorti de dedans ma tête. Faut être enfant et vieux en même temps pour faire des affaires de même.»

Voici ici quelques-uns de ces oiseaux, fruits de l’imagination d’une ou d’un adepte de la sculpture d’oiseaux sur bois, loin des sérieux guides d’identification, si précieux soient-ils. Ces pures créations ont leur charme et leurs créateurs témoignent de leur amour pour les oiseaux. Pour en avoir rencontré au moins quelques dizaines à ce jour, ces sculpteurs, jamais bavards au départ, sont des êtres à la vie intérieure riche. Lorsqu’ils se mettent à causer, on remercie le ciel intérieurement, on se tait, on écoute ce qu’ils veulent bien nous donner, venu assurément de longs moments de méditation à sculpter. À peu près tous sont des sages. Les entendre discourir, lorsqu’ils osent, repose. On sort toujours enrichi d’une rencontre avec l’une de ces personnes.

Et jamais, je vous en prie, il n’est question de marchandage. S’ils vous donnent un prix pour une de leurs pièces, toujours tant gênés de le faire, ne posez pas de conditions, acceptez ce prix, sinon partez enrichi de leurs mots échappés, bien chanceux que vous êtes. Vous voilà nourri de leur discours.

Alors, pourquoi pas le délire ?

 

L’oiseau coiffant cet article est simplement signé «Yol, 4 avril 2007». La personne avait le cœur heureux manifestement. Ci-bas, celui de gauche et celui de droite sont non signés. Au centre, il s’agit d’une création du Malécite Jean Nicolas, de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, ratoureux comme tout et fort attachant; son épouse Pauline prend plaisir à colorer ses oiseaux. Je m’ennuie de ne pas les voir plus souvent.

Vous ferai-je une confidence ? Ces oiseaux sont aussi heureux sur mes tablettes et semblent aussi fiers que les autres, plus conformes au réel. Ils tiennent leur place. Et j’aime le bois dont ils sont faits, un matériau simple et noble. Un matériau du début des temps.

Et me reviennent ces dernières lignes de l’ethnologue Bernard Genest, dans son ouvrage sur un grand sculpteur de Saint-Ubald de Portneuf aujourd’hui disparu, Wilfrid Richard, Un monde peuplé d’animaux. Wilfrid Richard et les siens, sculpteurs, Musée de la civilisation du Québec, 1986. Bernard, dans sa maison, était entouré de semblables sculptures. Il écrit : «Ils habitent ma demeure comme ils m’habitent. Jamais je ne m’en suis lassé, jamais ils ne me sont devenus indifférents comme ces objets qu’on finit par ne plus voir à force de les avoir trop vus. Au contraire, leur présence m’est devenue nécessaire, voire indispensable, comme si de ces bêtes inertes mais curieusement vivantes émanait une force tranquille et apaisante. (…) Ils ont dans le regard comme un enchantement à être.»

9 commentaires Publier un commentaire
  1. josee jacinthe #

    curieuse, j ai jeté un oeuil sur les créations (!) et la douce folie de Léonce Durette via le net (site youtube) pour une visite guidée colorée – filmée pour la télévision française semble-t-il .

    et oui, en voilà un qui n a pas l’air de s ennuyer dans la vie.

    25 janvier 2012
  2. Jean Provencher #

    Vraiment, tout un oiseau, ce Léonce Durette !

    26 janvier 2012
  3. Christiane L. #

    « Si je me lâchais lousse, ça serait pas montrable c’que j’ferais […]
    J’aurais pu faire ben des affaires. Faut faire attention un peu, pour pas passer pour trop fou »

    C’est M. Alphonse Grenier, un sculpteur Beauceron, qui s’exprime ainsi. Un propos de beau délire. Pourquoi pas, comme nous le dit M. Provencher.

    Source : Les patenteux du Québec, Montréal, Parti pris, 1978

    27 janvier 2012
  4. Jean Provencher #

    Bien beau témoignage, je trouve.

    27 janvier 2012
  5. maxime julien #

    Je me rappelle des Dimanches apres midi passe chez mon arrieres grand pere au travers des centaines d Ani maux en bois dans sa petite maison marsade du rang ste anne . Je suis un de ces petits arrieres petit fils ligne des tessier .

    10 décembre 2012
  6. Jean Provencher #

    Bien chanceux êtes-vous, Monsieur Julien. Vous deviez avoir les yeux bien grands !

    11 décembre 2012

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