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Encore des nouvelles de Botrel

Décidément, la presse québécoise du début du 20e siècle aime suivre à la trace Théodore Botrel, le barde breton. Voici, dans un texte qui n’est pas sans intérêt, La Patrie qui nous en donne à nouveau des nouvelles le 31 octobre 1902.

Théodore Botrel vient de publier un nouveau recueil de chansons — les Chansons en sabots — et voici des musiques que l’on ne fredonnera pas aux banquets des radicaux, dans la chaleur communicative des éloquences gouvernementales. Car c’est l’âme songeuse et passionnée de la Bretagne qu’évoquent ces chansons jolies, et la Bretagne, on le sait, n’est pas bien vue dans les hautes sphères politiques, présentement.

C’est une figure originale que ce poète musicien, ce barde d’autrefois et d’aujourd’hui, qui, comme les aïeux, célèbre les légendes séculaires et qui, comme hygiéniste doublé d’un moraliste moderne, fait campagne aussi contre l’alcoolisme croissant. Il écrit les paroles et, en général, compose la musique; souvent il recueille de vieux airs connus, populaires là-bas, et il adapte à la ritournelle ancienne sa poésie, mêlant ainsi au présent le passé, de telle façon que les âges lointains confèrent à son invention leur émouvante dignité…

Botrel naquit à Dinan, ville charmante et admirable, qui domine la Rance gracieuse et dont les rues sont bordées d’arcades comme les promenoirs des cloîtres gothiques. Ce n’est point la Bretagne âpre et farouche du Finistère et du Morbihan. La douceur normande n’est pas loin. Et pourtant, c’est la Bretagne déjà, mais tempérée d’aimable élégance.

Le père de Botrel, et son grand-père et ses oncles, étaient forgerons. Il passa auprès de la forge ses toutes premières années, et puis on l’envoya chez une grand’mère, à Saint-Méen; il apprit à lire à l’école des Frères. À onze ans, pourvu d’un certificat d’études primaires, il vint à Paris, et l’existence, on l’imagine, ne lui fut pas immédiatement très commode. Il travailla chez un serrurier, ensuite chez un lapidaire. Il avait l’âme vagabonde et, pas plus chez le lapidaire que chez le serrurier, il ne trouva de contentement définitif. Un éditeur de musique le prit comme employé; mais vendre la musique des autres n’est pas une occupation délicieuse pour qui entend chanter en son esprit de plus émouvantes musiques. Alors, voici Botrel qui passe à de nouvelles besognes; un courtier d’assurances maritimes le prend pour auxiliaire. Botrel, de là, entre à la Compagnie des téléphones, et dans l’étude d’un avoué, et même au Paris-Lyon-Méditerranée.

Cependant, il écrit, à ses nombreux moments perdus, des vers. Il se rappelle sa Bretagne enfantine… Il est ce déraciné, dans les meilleures conditions pour devenir le poète de la Bretagne. Car il a vécu là-bas, il a reçu de la Bretagne ses premières impressions — et il s’est éloigné du pays natal. Cela, il le fallait : nous ne sentons pas la poésie des choses toutes proches et le quotidien bonheur est, à nos yeux, de peu de prix; mais le bonheur dont nous nous sommes vus privé et les choses familières dont nous nous sommes écartés prennent plus de prestige, s’enveloppent d’une beauté plus touchante. Les paysans qui n’ont jamais quitté la terre nourricière ignorent la merveille incomparable des champs. La nostalgie est l’âme même de l’Art. Et Virgile, Matouan, perçut la poésie délicieuse de la campagne lorsqu’il fut loin de Mantoue, mêlé au tumulte de Rome…

Botrel chanta ses premières chansons en public au Chien Noir, lorsque quelques transfuges du Chat également Noir fondèrent au faubourg Saint-Honoré cet endroit artistique. C’est là que devinrent célèbres d’abord La Paimpolaise, Jobic le philosophe, Fanchette, etc. Il y avait encore là-dedans un peu de truculence juvénile. Le jeune Breton de Dinan s’efforçait de ne point avoir l’air trop de chez lui pour le public du Chien Noir. Ensuite, il devint plus simplement sincère et il changea de public; il pensa surtout aux amis de Bretagne en composant ses chansons populaires, il pensa à ceux du pays, matelots qui chanteront à la lune, tricoteuses de bas, fileuses qui les fredonneront à leurs petits gars, laboureurs, — et il pensa encore à ceux sur qui l’air des grandes villes pèse et qui, en se les murmurant tout bas, croiront respirer plus à l’aise…

Ces chansons bretonnes plaisent par leur vérité; elles ne sont point artificielles. L’authentique Bretagne est là, avec ses superstitions, sa foi héréditaire et profonde, sa mélancolique gaieté, son rêve obscur et perpétuel, son ardeur intime.

La Patrie ne donne pas de référence à cet article intitulé La vie à Paris et simplement signé Rémi. Mais sans doute s’agit-il d’un texte provenant d’Europe et arrivé au journal grâce au télégraphe. Or, pour bien comprendre cet écrit, il faut savoir que la France vit alors un débat enflammé sur la séparation des pouvoirs politique et religieux, la séparation du Trône et de l’Autel, un débat que le Québec vivra 60 ans plus tard au moment de la Révolution tranquille. De là, le premier paragraphe et l’allusion aux banquets des radicaux, nom que l’auteur donne à ceux qui sont en faveur de la séparation des pouvoirs. Et il faut se demander si Botrel, dans sa démarche, était conscient qu’il faisait le bonheur de ceux qui s’opposaient à cette séparation. Chose certaine, il jouera sur du velours lors de sa venue au Québec l’année suivante.

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