Madame, vous vous inquiétez ?
Vous vous demandez à quel âge il faut commencer à cesser de plaire pour ne pas avoir l’air idiote ? Allez, vous n’êtes pas la seule. Voyez ce que Mme Élise nous raconte dans sa chronique du 26 septembre 1903 de l’Album universel.
J’ai reçu d’une de mes lectrices une lettre bizarre et dont la teneur m’a profondément étonnée.
— Voudriez-vous, madame, me dit-elle, être mon guide moral et me conseiller en tout ? J’ai à vous poser une question dont la réponse me préoccupe fort, et sera pour moi la sentence irrévocable et sans appel : dites-moi, je vous en prie, à quel âge je dois renoncer à plaire, pour ne pas être ridicule ?
Voilà, je vous assure, une interrogation qui me déconcerte parce qu’elle me révèle un état d’esprit, un courant d’habitudes absolument contraire au bon sens et à la véritable politesse.
À quel âge une femme doit renoncer à plaire ?
Mais à aucun âge ! Mais n’est-ce pas l’un des rôles essentiels et primordiaux de la femme de se rendre agréable toujours, en toute circonstance, à toute époque de sa vie, et sans se lasser jamais ?
Ce n’est pas que je m’égare sur le sens qu’il faut attribuer aux paroles de ma correspondante, mais je le réprouve de toutes mes forces, et je veux le combattre ici.
La question telle qu’elle la comprend pourrait se développer de la sorte :
À quel âge dois-je cesser de me friser, de me poudrer, de minauder, de serrer mon cou dans un carcan, de m’étouffer dans un corset, de porter des souliers trop étroits ? À quel âge dois-je abandonner les coquetteries des jeunes, les sourires doux, les yeux caressants et rêveurs ? À quel âge dois-je renoncer à la prétention et à l’espoir de faire tourner les têtes, ou battre des cœurs, d’occuper la pensée d’un homme, d’inspirer des vers. Etc.
Quand la limite qu’elle se sera assignée sera atteinte, cette même personne si vivante, si soignée, si parée, abandonnera tout effort; elle se négligera et sa tenue, son esprit, son cœur perdront même cette légitime coquetterie qui accentue et rehausse le charme féminin.
Comme c’est mal comprendre la tâche de plaire dévolue à la femme que de la limiter à ces minauderies, à ces recherches de toilette, à ces poses sémillantes ou langoureuses dans lesquelles s’égarent la simplicité naïve de nos jeunes filles !
La femme doit plaire toujours, sans se lasser, mais avec les moyens différents que son âge autorise; lorsqu’elle n’aura plus de belles boucles blondes folâtrant sur un front de lis, qu’elle ait des cheveux gris, bien soignés, relevés avec noblesse sur un visage calme et souriant; quand elle n’aura plus l’entrain de la jeunesse qui la rend sémillante, elle s’efforcera d’avoir une expression bienveillante et gracieuse; quand elle aura perdu sa taille souple, elle mettra des vestes flottantes sans doute, mais si soignées, si bien faites qu’elle sera encore un plaisir pour les yeux.
À tout âge une femme doit s’appliquer à être agréable, charmeuse; à attirer les cœurs par ses qualités aimables; à séduire par le feu de sa conversation, par son esprit, son cœur.
Mais ce rôle si complexe et qui exige d’elle une application soutenue, une volonté persévérante, un travail assidu, n’atteindra vraiment toute sa grandeur que s’il est désintéressé; à aucun âge, pas plus dans sa jeunesse que dans sa maturité, une femme ne doit chercher à plaire dans le but pratique et précis de faire certaines conquêtes flattant sa vanité ou son intérêt; mue par un tel désir, elle serait forcément inégale et capricieuse.
Elle doit répandre autour d’elle un charme pénétrant comme une fleur répand son parfum, parce que c’est de son essence même, et le faire pour tous avec un délicieux naturel.
Mme Élise s’est bien cachée sous ce pseudonyme. Cent ans plus tard, on n’arrive pas à savoir qui elle est.
La dame ci-haut, âgée de 20 ans, belle comme un cœur, qui ne cherche pas nécessairement à «poser», dirait-on, est Anaïs Chapais. Elle aurait été infirmière sur les champs de bataille, en Europe, lors de la Grande Guerre, à compter de 1917. Cette photographie magnifique, faite vers 1902, provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Collection Centre d’archives de Québec, Documents iconographiques, cote P1000, S4, D83, PC53