Histoire d’un petit cheval à roulettes
Voilà quelques semaines, je passe chez un de mes bouquinistes. J’y viens régulièrement. Que vois-je sur une tablette ? Ce petit cheval à roulettes, cerné de livres.
Mon bouquiniste me dit « Il vous intéresse ? Partez avec. Moi, je ne vends à peu près pas d’objets semblables, je vends des livres. Allez, donnez-moi quelques dollars si la bête vous intéresse et partez avec. » Le soulevant, je lis sous la planchette « Réplique faite par Maurice Carrier, en décembre 1986, d’un cheval à roulettes façonné vers 1875 par Amédée Séguin, de Rigaud ».
Les noms de Maurice Carrier et de Séguin me disent quelque chose. Peut-il s’agir de Maurice, un des fondateurs en 1968 du département d’histoire de l’Université du Québec à Trois-Rivières ? Et ce Séguin, serait-ce un ancêtre du fameux ethnologue et historien Robert-Lionel Séguin (1920-1982), originaire de Rigaud ? En 1970, Maurice avait convaincu Robert-Lionel de s’amener à Trois-Rivières enseigner à l’université, lui disant que l’institution était même prête à héberger sa riche collection liée à la culture matérielle québécoise.
Petit cheval en main, je gagne la maison. J’ouvre l’ouvrage de Séguin, Les jouets anciens du Québec (Montréal, Leméac, 1969) et voilà qu’en page 59, j’aperçois, en noir et blanc, deux petits chevaux à roulettes s’apparentant tout à fait à cette réplique. La légende des photos dit « Chevaux à roulettes de facture primitive. Façonnés vers 1875 par Amédée Séguin, menuisier de Rigaud ». Je brûle.
Je téléphone donc à Maurice qui me dit : «Oui, c’est bien moi. Après le décès de Robert-Lionel, il m’est arrivé de fabriquer quelques répliques d’objets de sa collection, soit pour mes propres enfants, soit pour sa veuve qui m’en faisait la demande.»
Aujourd’hui, la collection Séguin est déposée au Musée québécois d’art populaire, à Trois-Rivières, fondé en 2001. Vous saurez tout sur ce précieux musée à l’adresse suivante : http://www.culturepop.qc.ca/. Dans le but de trouver une photographie de l’original de ce petit cheval à roulettes, j’envoie un courriel à Madame Julie Gascon, chargée de projet aux expositions et à l’action culturelle du musée. Madame Gascon confie ma demande à l’archiviste des collections, Monsieur Guy Coutu. Rapidement, celui-ci me répond qu’on trouve plusieurs chevaux à roulettes dans la collection Séguin et, à la vue du mien, m’envoie ce qui semble être l’un ou l’autre qui aurait servi de modèle à Maurice pour sa réplique du petit cheval d’Amédée.
Le bonheur, vous dis-je. Voici ces deux photos me provenant de Monsieur Coutu. À noter que ce sont de véritables petits jouets; un enfant ne pourrait les chevaucher. Dans l’ouvrage de Séguin, en page 59, on dit « Longueur : 10’’ [24cm]; hauteur : 8 ½’’ [21½cm]. Tout à fait les dimensions de ma réplique. À chaque fois, je n’en reviens jamais que des objets semblables traversent le temps grâce à nous tous. Ce cher Amédée serait sans doute heureux.
Merci infiniment à vous quatre : Jean-Jacques, mon bouquiniste, Maurice, mon confrère en histoire, Madame Gascon et Monsieur Coutu, complices en art populaire. Vous êtes adorables.
P. S. Si vous recherchez l’ouvrage de Robert-Lionel Séguin, Les jouets anciens du Québec, il y a deux de mes bouquinistes, à Québec, qui en ont une copie présentement en main. Prière alors de m’envoyer un courriel.
C est une très jolie histoire! Aussi vous avez un fort bon bouquiniste – dans tous les sens du terme on dirait.
Depuis que je vous lis, je m initie tranquillement à l art populaire ou les artisans du terroir (corrigez mon terme), moins connus du grand public que nos scupteurs de l art sacré par exemple mais combien émouvants à leur humble façon. C est passionnant et, qui sait, on peut toujours rêver – Rêver!- faire une trouvaille au détour d une promenade à la campagne. … Aujourd hui, je vais fouilller pour me procurer un livre de référence à ce sujet. Merci!
Dieu que j’aime votre texte, chère Vous ! Si, sur ce site interactif, je tape sur le clou de l’art populaire, si j’ai créé une sous-section à ce sujet dans la catégorie Culture, c’est exactement pour nourrir notre conscience de l’art populaire d’ici au fil du temps. Tant de gens ont exprimé leur amour de la vie de cette façon, ont fait fuir aussi, de cette manière, le stress qui nous envahit dans les moments serrés de notre vie, se livrant alors à de véritables petites créations, heureux en bout de ligne du sourire qu’ils arrachent à un enfant, un adulte, à la vue de ce nouveau petit être de bois, né de leur habileté, de leur imagination souvent.
je vous souhaite de belles trouvailles dans vos pérégrinations. Tendez l’œil. Souvent, ces objets, sans plus aucun soin, nous apparaissent dans le fond d’une boîte de cossins, dans le fond d’un garde-robe, ou chez un de ces sculpteurs, nous sourient soudain, dirait-on. Vous verrez; par la suite, ils nous sont chers.
J’adore l’art populaire. Merci de ce mot.
Vous me rappelez de beaux souvenirs. Je revois Robert-Lionel Séguin, devant la classe universitaire où j’étais assis, à Trois-Rivières, là où j’ai fait mon bac en histoire. J’avais alors le sentiment d’être devant un être hors du commun. Il n’était pas bon pédagogue, mais sa connaissance de notre patrimoine compensait largement :-) J’ai aussi connu Maurice Carrier, à la même université.
Merci beaucoup, cher Michel, de ce beau témoignage. Je n’ai jamais eu l’occasion, malheureusement, de rencontrer Robert-Lionel Séguin.
Je suis un artisan qui se spécialise dans la reproduction des merveilleux chevaux a roulettes de la collection de Robert Lionel Séguin et de d’autres sculteurs d’art populaire du Québec. Je suis originaire de St-Ubald de Portneuf, pays de Wilfrid Richard d’ou mon attachement pour l’art populaire . Une exposition de mes réalisations aura lieu du 5 juin au 8 aout 2013 a la Maison Le Pailleur de Chateauguay. Les reproductions sont faites a la main et a la maniere des anciens, utilisant des matériaux tel que: crin de cheval, rondin, cuir. Ces reproductions sont pour moi une maniere de diffuser l’imaginaire de nos grands-peres.
Ah, merci, cher Monsieur Gauthier, de nous signaler votre présence et que vous êtes là à ce travail. Bravo ! Et tenez-nous au courant de votre exposition l’été prochain. Dites, possédez-vous un site internet ? Il serait bon que nous le sachions.
M. Gauthier possède maintenant un site internet, voici l’adresse :
http://lablanchesemaine.com/
Merci à vous, chère Madame Catherine, et salutations à Monsieur Gauthier.