Les Chinois auraient inventé la marionnette
L’invention des marionnettes n’est pas d’origine européenne, quoique le mot soit de création relativement récente. En passant, il peut être curieux de citer l’étymologie de ce vocable : il vient de « marietta, marionetta », qui sont les diminutifs italiens de « Maria ». C’est, en effet, par de petites madones articulées que commença, en Italie, au XVIe siècle, la mode qui devait aboutir aux pupazzi.
Avant les Grecs, avant les Égyptiens peut-être, les Chinois eurent des marionnettes dont ils se servirent pour des spectacles en miniature. Mais c’est surtout dans les provinces septentrionales de l’immense Empire Jaune que ce genre de récréation est répandu.
Il constitue, d’ailleurs, un métier très lucratif.
Lorsque le tenancier ambulant d’un petit guignol mandchourien arrive dans une ville, il fait retentir à travers les rues le bruit d’un gong ou de cymbales. Aussitôt femmes et enfants arrivent sur le seuil de leur porte, à ce signal qui, du reste, est aussi celui par lequel les diseurs de bonne aventure annoncent leur présence.
Les gens ainsi accourus suivent le guignol, et, quand l’artiste ambulant estime qu’il aura un public suffisant, il s’arrête, installe son théâtricule et commence la représentation. Les personnages des pièces que l’on joue ainsi sont plus nombreux et plus variés que nos marionnettes françaises.
Le principal personnage d’une pièce chinoise est toujours un jeune bachelier, pauvre d’argent, mais riche d’espérance, faisant de très beaux vers et aspirant au grade de docteur. Son rôle est généralement d’être d’abord méprisé, de solliciter en vain d’un riche charcutier un morceau de lard, pour se faire une soupe réconfortante. Le charcutier le traite de mendiant, de voleur et le chasse.
Mais, un jour, le bachelier revient décoré de la robe doctorale, et il trouve moyen de faire couper le cou au charcutier. Il épouse, naturellement, la jeune fille riche, dont le père l’avait jadis dédaigné, mais il s’incline toujours devant sa tunique violette et son bonnet à bouton de topaze.
La jeune fille est aussi l’une des marionnettes les mieux traitées. Elle est toujours en butte, d’abord, aux obsessions d’un usurier opulent, vieux et laid, qui la demande à son père ; mais, toujours aussi, elle triomphe et obtient son jeune, beau et illustre bachelier devenu docteur qui, aussi vindicatif contre l’usurier, arrive à faire pendre son triste rival.
La soubrette, ou jeune femme de chambre, est également l’un des personnages sympathiques du guignol chinois. Elle favorise, cela va sans dire, les rêves de la demoiselle et du bachelier ; elle porte leurs messages, elle contrecarre les desseins du vieil usurier. Toujours menacée d’être mise à la porte par les parents, ou de recevoir la bastonnade, elle réussit, par ses répliques spirituelles et gaies, à éviter la peine terrible pour ses membres frêles, et elle désarme ses maîtres par des rires.
Un autre sujet de pièce pour les marionnettes chinoises consiste dans la lutte entre le mandarin civil et le mandarin militaire. Car, après avoir été déchirée durant des siècles par des guerres civiles et des compétitions féodales, la Chine, depuis six cents ans, n’aime plus que le commerce et l’agriculture ; elle a horreur de la guerre. Et ainsi est né cet état d’esprit qui prête au mandarin civil le savoir, l’habileté, l’intelligence, et au mandarin militaire l’ignorance, la balourdise, l’incapacité. Le civil lui fait d’innombrables farces, dont il est constamment la victime gauche et ridicule.
Le répertoire du guignol chinois possède encore parmi ses personnages le joyeux académicien. Certes, nos académies n’en offrent pas de pareil. Il n’aspire, en faisant de beaux vers, qu’à boire d’innombrables tasses de vin. Quand il est ivre, il garde malgré tout sa lucidité et sa verve et, grâce à l’influence que lui donne son génie auprès de l’empereur, il protège les humbles contre les sévices des mauvais juges, à la condition, naturellement, que l’on connaisse ses œuvres et que l’on proclame sa gloire !
La Patrie (Montréal), 1er septembre 1906.