Les chats, semble-t-il, savent être reconnaissants

Les chats ont mauvaise réputation; on les accuse de pratiquer l’indépendance du cœur avec une désinvolture rare et d’avoir reculé les limites de l’ingratitude terrestre.

Ces reproches sont en partie fondés; il est certain que ces tigres en miniature, dont les griffes sont toujours prêtes à s’échapper du velours d’une patte caressante, ne possèdent pas les vertus de la race canine.

Ils n’ont pas cette abnégation, ce dévouement, cette fidélité à toute épreuve qui appartiennent au chien seul, comme un inviolable monopole que l’homme lui-même serait incapable de lui disputer. On n’est jamais sûr de conquérir l’amitié de ces animaux séduisants et perfides; ils accordent en général leur sympathie de la façon la plus arbitraire et la plus imméritée, mais lorsqu’un rayon de reconnaissance pénètre au fond de leur cœur, ils savent exprimer leur affection avec une grâce et une délicatesse toutes félines.

Un chat, oubliant les habitudes de prudence qui distinguent en général sa race, avait avalé une boulette empoisonnée. Les effets produits par cette drogue fatale ne tardèrent pas à se faire sentir. […] Il guérit pourtant grâce aux soins que lui prodigua sa maîtresse. […] Pendant la première nuit qui suivit le complet rétablissement de son malade, la bonne femme entendit des miaulements à la fenêtre de sa chambre à coucher. C’était le chat qui tenait une souris entre ses dents et venait la déposer aux pieds de sa maîtresse, comme un témoignage de sa reconnaissance.

Cette touchante manifestation ne resta isolée. Chaque jour, l’infatigable Nemrod de gouttières était heureux d’offrir le produit de sa chasse à sa bienfaitrice qui, du reste, n’acceptait cet hommage que pour la forme et s’empressait de lui rendre son gibier avec une caresse et l’autorisation d’en user à son gré.

La Patrie (Montréal), 11 décembre 1893.