Vive le bon vieux poêle à bois !
L’historien Benjamin Sulte a toujours aimé chanter la vie d’autrefois. Le voici ici célébrant le poêle à bois.
Vous avez remarqué que la vapeur n’a pas fait abandonner les navires à voile.
Les lampes et la modeste chandelle subsistent en dépit du gaz. Les gazettes n’ont pas empêché les livres de se multiplier. Le poêle à charbon ne tuera pas le poêle à bois. Chez nous, d’ailleurs, ce dernier est plus national que l’autre; il a des traditions, une histoire, des annales de famille, tout ce qu’il faut pour vivre indéfiniment. Il vivra donc et restera cher aux âmes bien nées pour qui la reconnaissance se calcule au nombre des années.
Au temps jadis, avant qu’on ne l’eût introduit dans les églises, on apportait dans ces édifices, les jours de grands froids, de vastes chaudrons remplis de braises, sur lesquels les paroissiens se chauffaient les mains. Un peu plus tard, ce mode primitif, dont nous entretient le Journal des Jésuites, céda la place aux bons gros poêles des forges Saint-Maurice. On les découpait à la bonne franquette coulé très épais, sans ornements ni enjolivures; juste ce qui convenait à des mœurs simples et heureuses. La forêt était à deux pas, une corde de bois coûtait quarante sous — c’est toujours le Journal qui parle — et l’on s’en donnait ! Une attisée n’attendait pas l’autre. Le bourdonnement du poêle se mêlait au chant des cantiques. C’était une ardeur générale, un hosanna ininterrompu.
Dans la maison, même largesse. Il y a quatre-vingt ans, Lambert disait que les Canadiens se desséchaient à chauffer toujours et sans cesse.
Cet Européen frileux ne voulait pas paraître avoir froid. La race des touristes grincheux existe encore.
Pour nous qui aimons la chaleur et qui n’en faisons pas mystère, nous chanterons longtemps avec le poète :
Ah ! que le feu tient douce compagnie
Au Canadien dans les longs soirs d’hiver !
Benjamin Sulte.
La Minerve (Montréal), 18 octobre 1880.