Le juge Langelier fait un héros de Jules Fournier
J’aime beaucoup le jeune journaliste Jules Fournier, à la santé fragile. Belle plume, fort éveillé pour son époque, 25 ans, il critique en 1909 dans son journal Le Nationaliste le juge François Langelier, qui a la réputation d’avoir un gros égo. C’est lui qui, maire de Québec, avait dit à son conseil de ville qu’il ne s’objectait vraiment pas à ce que le nouveau boulevard coupe-feu entre les quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur porte son nom. Aussi, aujourd’hui, ce boulevard s’appelle toujours Langelier.
Or, en juin 1909, après quelques semaines, Langelier, juge et partie, condamne Fournier à trois mois de prison pour outrage à la magistrature. Et voilà le jeune journaliste humilié et enfermé à la prison de Québec. Mais cela n’ira pas de soi. Rapidement, de nombreuses voix s’élèvent contre une pareille façon de faire et un pareil traitement.
Le 19 juin 1909, par exemple, un des éditoriaux non signés du quotidien montréalais La Patrie s’intitule «Journalistes et forçats».
Les médecins de la prison de Québec, après s’être rendu compte de l’état de santé débile de M. Jules Fournier, ont décidé de le soumettre à un régime moins sévère et de la transférer à l’infirmerie.
Une condamnation sévère a attiré sur notre jeune confrère des sympathies nombreuses et ses amis apprendront sans doute avec satisfaction la nouvelle de cette mitigation.
Mais nous désirons placer la question plus haut. Sans excuser en aucune façon le délit qu’a pu commettre le directeur du «Nationaliste», délit grave d’irrespect envers la magistrature, il n’en reste pas moins que ce délit a un caractère particulier. Il n’est pas permis, quant à nous, de l’assimiler aux crimes ordinaires des apaches qui assomment les passants au coin des rues.
Un journaliste emporté par la passion peut dépasser la mesure, mais il n’est pas pour cela un repris de justice. Dans tous les pays civilisés, on fait une distinction entre les personnes coupables de ce qu’on appelle un délit de presse et les autres coupables de crimes ordinaires.
En France, des gens comme Veuillot et Doumont ont été condamnés à la prison, et on ne leur a jamais imposé l’humiliation inutile de porter la livrée du forçat.
Chez nous, était-il vraiment nécessaire qu’on fouillât Jules Fournier et qu’on le dépouillât de ses habits ?
Au nom de la solidarité du journalisme, et en vue de l’avenir, nous croyons devoir protester contre ce précédent que seule la province de Québec aura créé. C’est aussi, on a pu le constater, l’opinion d’autres journaux, comme le «Star» et la «Gazette», dont on ne pourra pas suspecter le désintéressement dans cette affaire.
Jules Fournier est décédé en quelques jours au printemps 1918, à 33 ans, d’une pneumonie venue de la grippe espagnole. «Je suis trop jeune» avait-il déclaré à son épouse.
La gravure de Jules Fournier est parue dans La Patrie du 3 juin 1909.