On se retrouve tous chez Dufresne pour voir les coqs se battre !
La région de Québec, on le sait, raffole des combats de coqs. Et pourquoi ne pas profiter du temps des Fêtes pour faire battre les coqs ? On se retrouve donc chez Dufresne, rue du Prince-Édouard, dans le faubourg Saint-Roch, le 29 décembre 1884. L’arène aux coqs est «un enclos d’une grande dimension protégé tout autour des regards de la police par une haute palissade où est adossé l’amphithéâtre qui se dresse majestueusement pour recevoir les spectateurs enthousiastes des batailles de coqs.»
Mais l’événement défendu est ébruité et, le lendemain, sous le titre «Razzia et comédie», le quotidien Le Canadien raconte.
L’on connaît assez communément qu’il existe à Québec un certain nombre de sportmen de bas aloi, qui trouvent une jouissance inénarrable au spectacle des combats…… de coqs.
L’on sait aussi que les règlements municipaux n’ont pas de condescendance pour ce déploiement de valeur belliqueuse chez les animaux, et que nos édiles, pas plus qu’ils n’envient à l’Espagne ses combats de taureaux, ne sauraient tolérer ici quelques-uns des petits plaisirs d’Albion, notamment : les prouesses des héros du poulailler.
Mais l’ennui des autorités consiste principalement à découvrir le champ clos de ces tournois bizarres, et ce n’est que par chances fortuites qu’il leur vient parfois à l’oreille que l’arène s’ouvrira ici ou là, à telle heure, tel jour.
Hier soir, la police a été favorisée du petit secret et, sans autre invitation, vingt-quatre municipaux se sont rendus vers huit heures chez un nommé Dufresne, à St-Roch.
À leur arrivée, nous ne dirons pas que plusieurs lances avaient été rompues, mais plusieurs crêtes saignaient déjà, au grand plaisir des assistants et des parieurs dont les chances de gain se dessinaient sous une nuée de duvet volant.
C’était très joli; mais la loi existe, et comme la loi, la police, les délinquants et les arrestations ne font qu’un, il n’y a rien d’étonnant que nous retrouvions le tout, ce matin, devant son Honneur, le Recorder [le juge de la cour Municipale].
Il est d’usage, et assurément aussi de grande utilité, pour quiconque opère une arrestation, de faire main basse en même temps sur les pièces à conviction : cette fois-ci on le comprend de suite, les pièces étaient bien les combattants eux-mêmes, puis que les coupables, au premier et unique degré, n’étaient autres que les spectateurs.
Mais tout se complique, et l’on conçoit sans doute qu’il n’était pas facile de traiter ces pièces à conviction comme l’on fait du commun des exhibits. Pouvait-on réellement les marquer d’un chiffre ou d’une lettre ? Pas davantage il n’était permis de les lier; …. vous savez…. la société protectrice des animaux le défend. Voilà pourquoi on a cru pouvoir couper court à la difficulté en jetant pêle-mêle les fils de Mars dans un sac ad hoc. […]
Cette nuit, les échos des salles du bureau de police No. 1 ont été tenues constamment éveillées par les chants de victoire des héros emplumés, au grand déplaisir de nos fidèles gardiens qui sacrifient quelques fois à Morphée. Mais c’est heureux, car sans cela, qui donc aurait pu nommer ceux qui ont été victorieux dans le sac !!
Dix personnes arrêtées dans cette circonstance, et qui n’ont pas voulu déclarer leurs noms, ont été conduites immédiatement au bureau de police. Une vingtaine d’autres, dont on connaît les titres et l’adresse, ont promis de comparaître ce matin devant le magistrat.
Le 31 janvier 1884, Le Canadien affirme que 54 personnes — tous des hommes, car il est défendu aux femmes d’assister à un pareil événement — avaient été arrêtés et qu’ils devaient comparaître à la cour de Police le 5 janvier.
Finalement, le 7 janvier 1885, il y a comparution de 44 personnes à cette cour de Police et le juge Chauveau leur sert «une verte admonition». «Le tribunal a préféré suspendre ses foudres, écrit le journal, après avoir fait sentir aux coupables qu’advenant une seconde occasion de sévir contre eux, il saurait bien où les prendre.»
Au Québec, les cours de justice de ce temps n’ont jamais été très sévères à l’égard de ceux qui organisaient ou assistaient à un combat de coqs.
Le coq ci-haut est une création de l’artisan Roland Couture, de Breakeyville, décédé en 2011 à l’âge de 91 ans.