Skip to content

Un autre carnaval à Montréal ?

Durant les années 1880 et 1890, on a tenu quelques carnavals d’hiver à Montréal. Puis on y a mis fin définitivement. Mais, régulièrement, le débat reprend entre partisans et adversaires d’un carnaval montréalais. Même à l’occasion en plein été. Et voilà que le débat refait surface en 1904, cette fois-ci en septembre et octobre.

Le 2 octobre, Le Bulletin prend fermement position pour un nouveau carnaval.

 

On agite la question de savoir s’il serait bon de faire revivre le Carnaval à Montréal et de couper la monotonie de l’hiver par des réjouissances populaires à l’époque du Mardi Gras. Des journaux ont fait une enquête, et ont interrogé divers personnages sur l’opportunité de réveiller le roi Carnaval qui est en léthargie depuis quelques années maintenant.

Naturellement, comme dans tout référendum populaire, les opinions sont partagées. Les uns sont pour, les autres contre. On devait s’y attendre.

Mais le problème paraît facile à résoudre, car les opposants n’ont présenté qu’une seule objection qui peut se résumer ainsi :
« En faisant des fêtes du Carnaval cet hiver, nous serons amenés à construire encore un palais de glace, à avoir des promenades en raquettes, des défilés de traîneaux, des sports sur la glace, etc., et les journaux reproduisent des gravures qui s’en iront à l’étranger dans cette bonne vieille Europe qui sera gelée en nous contemplant sous la neige. L’immigration sera du coup arrêtée ou notablement diminuée et la fortune du Canada sera compromise. »

Voilà la crainte nettement exprimée. Elle mérite qu’on s’y arrête un instant pour la combattre.

Les Canadiens n’ont jamais pardonné à Voltaire sa boutade des «quelques arpents de neige» et ils ont peur que les étrangers ne considèrent leur pays comme une suite naturelle du Pôle Nord, si l’on fait revivre le Carnaval d’hiver.

Tout d’abord, comme question de fait, quiconque en Europe connaît le Canada sait que l’hiver est long et que la neige y tombe en abondance. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce qu’il n’y a pas de la neige et de la glace en Europe et ailleurs ? Allez en France, dans les Vosges, le Jura et les Alpes, et vous en verrez de la neige en hiver autant qu’ici.

Parlerons-nous de la Suisse et de ses montagnes couvertes de neige en juillet; en Allemagne, en Hollande, ne sait-on pas ce que c’est que les longs hivers ? Dirai-je qu’en Hongrie, des trains ont été bloqués pendant trois jours par la neige, et que ces accidents arrivent chaque année ? A-t-on peur de la neige en Suède, en Norvège, au Danemark et dans cette immense Russie ?

La vérité, c’est que l’hiver au Canada est plus beau que partout ailleurs; que notre climat est plus sain en hiver que celui de Paris, de Berlin et de Vienne, sans en excepter Londres, où les brouillards sont à l’état permanent.

Quel pays est mieux outillé que le nôtre pour supporter l’hiver ? Nos maisons sont chauffées mieux qu’ailleurs, nos vêtements sont confortables et relativement bon marché.

Quant aux travaux d’hiver, il y en a assez pour dix fois la population du pays. Si des immigrants viennent chez-nous pour y chercher de l’ouvrage, ils en trouveront toute l’année, hiver et été.

N’ayons pas honte de notre climat d’hiver, et ne croyons pas qu’avec la diffusion de l’instruction en Europe, on ignore qu’il y a de la neige au Canada. Oui il y en a et beaucoup même, mais c’est elle qui fait la richesse de ce pays, c’est elle qui nous rend actifs, laborieux. Notre race n’est ni molle, ni engourdie comme les populations des tropiques, abruties par la chaleur torride qui les cuit et les énerve.

Qu’est-ce que c’est que cette hypocrisie qui consiste à tromper les vieux pays sur notre climat ! Disons la vérité bien haut, crions-la s’il le faut.

On meurt moins de froid au Canada qu’en France, en Allemagne ou en Russie, et pourtant ces contrées sont plus peuplées que notre pays.

Un carnaval ne peut prouver qu’une chose, c’est que l’hiver ne nous engourdit pas, et que nous savons rire et nous amuser même quand il fait froid, sur cette belle neige qui est pour nous la santé et la richesse.

Gardons-nous de donner au dehors l’impression que nous sommes un peuple d’engourdis, gelés par le froid. On nous prendrait pour des marmottes, et c’est alors qu’on aurait peur de venir s’installer chez-nous.

Vivent la joie et la gaieté au milieu de l’hiver, et qu’on se hâte de former un comité Anglo-Canadien pour nous donner de belles fêtes au Mardi Gras !

 

L’empressement du Bulletin n’aura pas de suite.

Source de l’illustration dans Le Monde illustré, du 31 janvier 1885 : http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/illustrations/accueil.htm

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS