Skip to content

Voilà le journaliste Jules Fournier à Avignon

jules fournier decouvre avignonÀ 25 ans, le jeune Jules Fournier, journaliste, se paie un grand voyage en France. Paris, Versailles, Rouen et Maillane, en Provence, pour rencontrer Frédéric Mistral, le voilà heureux. Mais Avignon le séduit tout à fait. Extraits.

Du haut du château des papes, je contemple autour de la ville la campagne verte, que bornent au loin les Cévennes et les Alpes. C’est à ces montagnes que sans doute Avignon doit son climat privilégié. À quelques arpents, cette large rivière qui s’enfuit, c’est le Rhône, le plus beau des fleuves de France.

De partout s’élèvent des chants d’oiseaux dans le soleil. Et une brise tiède qui souffle nous apporte des champs et des bois voisins, du fleuve et des collines, comme une immense odeur, faite du parfum mêlé de la verveine, du romarin, de la violette, du thym, des jacinthes, une odeur capiteuse et enivrante, comme la musique et l’amour.

À nos pieds s’étend la ville, toute de la même couleur imprécise et vague, et dont on ne saurait dire au juste si elle est grise ou blanche ou rose… avec seulement quelques toits rouges par ci par là.

Et sur tout cela, une nappe immense, un océan de lumière, de lumière blanche, tellement diffuse, tellement abondante, qu’elle semble émaner des objets plutôt qu’elle ne paraît les éclairer. —

Et tout ceci n’est pas facile à expliquer : dans nos climats du Nord, c’est le sol, ce sont les maisons, qui tout d’abord attirent l’attention et la lumière ne vient là que pour les éclairer. Dans le Midi, au contraire, la lumière, au lieu d’être l’accessoire, semble être le principal — semble être tout. En vérité, on ne voit qu’elle, et c’est elle qui semble créer les objets. Véritable monde de fantasmagorie. […] 

* * *

Enfin, je l’ai vu le pont, le fameux pont d’Avignon…

Tout le monde y passe,

 dit la chanson. Hélas ! personne n’y passe plus, puisque de cette ancienne construction, qui fut une des merveilles du moyen âge, il ne reste aujourd’hui que quatre arches, minées chaque jour davantage par le Rhône. N’importe, j’ai voulu quand même y passer, autant qu’on y peut passer. C’est-à-dire que je me suis rendu jusqu’à la dernière arche encore debout, laquelle marque à peu près le milieu du fleuve.

De là, je suis retourné au château des papes, voulant une fois de plus m’emplir les yeux d’une vision unique.

Quelle vision !

Les évangiles nous content qu’il exista, il y a des millénaires un paradis sur terre. Si quelque chose, me disais-je en contemplant Avignon, peut encore donner une idée de cet éden disparu, c’est bien ce merveilleux pays. […]

Avignon, de même que le pays voisin [la Provence], n’est pas de notre époque; c’est une contrée du quinzième siècle égarée dans les temps modernes. Et c’est peut-être aussi bien ce qui fait son charme pénétrant…

 

La Patrie (Montréal), 10 juin 1910.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS