Un jour, peut-être en arriverons-nous à une histoire québécoise des gens du voyage (Second billet de deux)
Hier, nous visitions un campement de Bohémiens en bordure du canal Lachine à Montréal. Le journaliste de La Patrie du 24 mai 1902 avait entrepris une conversation avec Gitannetti, le chef du groupe. Ce dernier a la parole.
«Nous avons plusieurs noms. En Italie, on nous appelle «Zingari»; en Espagne, «Gitanos»; en Angleterre, «Gypsies» ou «Égyptiens»; en Allemagne, «Zigenner», et au Portugal «Ciganos». Nous nous appelons nous-mêmes «Rômichal», ce nom n’est-il pas assez poétique, assez sonore ?
«Que la nuit soit constellée ou que l’ouragan siffle dans les cimes, nous dormons heureux dans nos roulottes. Nous croyons à l’Éternel et nos lendemains sont invariablement ce qu’ont été les veilles. Nous ne sommes pas tous nomades. En Turquie et en Hongrie, nous sommes forgerons, chaudronniers, menuisiers.
«Oh ! ça surprend, tenez, mossou, la musique, nous ne l’apprenons pas, nous la savons en naissant. Nous jouons des instruments et nous chantons les persécutions dont les peuples nous ont accablé, et, dans le calme des soirs, ça nous est une consolation suprême de laisser nos âmes s’emporter sous l’inspiration.
«En Transylvanie, en Moralvie et en Valachie, nous avons des résidences fixes, nos chefs vivent dans l’aisance et s’appellent rois, ducs et vayvobos. Tenez, cette vieille que vous voyez assise et fumant sa pipe est une descendante de princes valaques; elle fut très belle autrefois, et les jeunes gens l’appelaient la charmeuse. En Espagne, nous habitons les montagnes, où nous avons des quartiers séparés à Cordoue et à Séville.
«C’est nous que chantent vos poètes qu’inspirent les villes mauresques, lorsqu’ils disent que sous les balcons des «senoras», les sérénades pleurent tout le long des nuits torrides. En Angleterre, nous sommes maquignons, vétérinaires, maréchaux forains, et — hélas ! c’est ça qui nous fait du tort — quelques-uns contrebandiers et voleurs.
«En Amérique, nous sommes nomades, mais dites bien dans votre journal que, partout où nous vivons, nous avons conservé notre langue, nos mœurs, notre respect pour nos chefs, au nombre desquels nous avons placé la comtesse Tolstoï, que tous nos compatriotes qui vivent en Russie vénèrent comme une protectrice.
«Nous repartons demain, et nous allons devant nous, sans nous soucier de l’avenir. Nous nous dirigeons vers Québec. Bonsoir, mossou, serviteur. Ohé ! qui veut se faire dire la bonne «aventure» par la reine des cartomanciennes. Pas cher ! pas cher !»
Et la voix de l’homme invitait les curieux, groupés autour du campement.
Quel bel hommage vous rendez-là aux «Romanichels» qu’affectionnait tant mon père en Roumanie. Que ne donnerais-je pour entendre une nuit, à la belle étoile leur chant, à la fois doux, entrainant et plaintif.
Merci cher Jean.
Et ici cette musique et ce chant sont bellement présentés, chère Silvana.