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Qu’est-ce donc que la bohème et un bohème ?

cafe tortoni, boulevard des italiens parisDe Sorel, le quotidien Le Sud du 2 mai 1889 nous propose cette courte histoire.

Le nom de Bohème s’applique à une fraction nombreuse et longtemps mal connue du monde des gens de lettres et des artistes. On trouve ce mot avec cette acception nouvelle, particulièrement dans les romans de Balzac, de Georges Sand et d’Eugène Sue.

Balzac est celui qui s’en est le plus souvent occupé, mais il a peint surtout sous ce nom cette jeunesse élégante et oisive qui, vers les dernières années du règne de Louis-Philippe [les années 1840], attendait la fortune et la réputation en se promenant sur le boulevard des Italiens, ou en déjeunant chez Tortoni [un café parisien, boulevard des Italiens, qui connut un très grand succès au 19e siècle].

Cette Bohème n’existe plus aujourd’hui, celle qui l’a remplacée est beaucoup moins aristocratique, et plus exclusivement artistique et littéraire, de fruits secs des lettres, des arts, etc. Elle loge au quartier Latin, ou sur les sommets du Faubourg Montmartre.

Elle est composée d’auteurs qui sollicitent inutilement la représentation de leur premier drame, ou l’insertion de leur premier article dans un grand journal, des peintres régulièrement refusés aux expositions annuelles, des musiciens réduits à donner leurs concerts à huis clos, des acteurs sur le retour et peu riches, etc., etc.

Dans ce monde si fréquemment aux prises avec la faim, ce n’est quelquefois pas le talent qui manque, c’est plutôt l’énergie continue de la volonté, c’est le désir de sortir de cet état où des joies si vives consolent des plus poignantes souffrances; c’est aussi l’amour de la paresse, la répugnance à tout travail sérieux et continu.

Le «Bohème» ne fréquente d’ordinaire que d’autres Bohèmes aussi pauvres, aussi paresseux, aussi insouciants que lui.

Ils s’encouragent mutuellement à mener sans faiblir cette vie de misère, de fainéantise et de tabagie.

Ainsi se sont usés beaucoup d’esprits pleins d’avenir, dans les luttes misérables contre la nécessité, dans des conversations brillantes qui n’aboutissent à aucune œuvre sérieuse. Une série d’esquisses et de scènes publiées par Murger et Champfleury a rendu populaire les mœurs de ces enfants perdus de la littérature et des arts.

Elles ont été portées au théâtre, où elles ont obtenu un grand succès. Toutefois, il ne faudrait pas que la séduction qu’un talent aimable a su donner à cette vie accidentée engageât les jeunes gens qui aiment les lettres à l’embrasser. Elles présentent d’attrayantes perspectives, mais ces horizons qui se déroulent à pertes de vue n’offrent trop souvent que d’affreuses déceptions.

Les vrais talents, les vocations réelles peuvent traverser parfois la vie de Bohème, mais n’y demeurent pas.

 

Ci-haut, il s’agit d’une gravure de A. P. Martial (1828-1883). Elle apparaît sur la page Wikipédia consacrée au Café Tortoni de Paris.

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