Quand les États-Unis s’empare d’un État du bout du monde
Québécois, il est certain que nous entendons davantage parler d’Hawaï que les Européens et les Africains, puisque cette terre du bout du monde est propriété des États-Unis, notre voisin. Mais comment l’Oncle Sam en est-il venu à mettre la patte sur ce groupe d’îles situées dans le centre de l’océan Pacifique ? Jamais il ne nous est donné d’entendre la réponse à cette question.
Voici que le quotidien montréalais La Patrie, à la une du jeudi 23 février 1893, y va d’un article éclairant à ce sujet sous le titre «L’annexion d’Hawaï». Sans connaître davantage l’histoire du lieu, on y lit bien tout ce qui se préparait.
Le secrétaire d’État à Washington blâme avec raison l’intervention trop hâtive de M. Stevens, le chargé d’affaires des États-Unis à Honolulu [la capitale d’Hawaï], qui non seulement a reconnu l’existence du gouvernement provisoire, mais a même placé Hawaï sous le protectorat américain.
Le débarquement des troupes américaines sous prétexte de maintenir l’ordre, mais en réalité pour prêter main-forte aux insurgés, est un autre excès de zèle que le gouvernement américain pourrait désavouer.
Au point de vue du droit ou même de la courtoisie internationale, la conduite de tous ceux qui ont représenté le gouvernement américain en cette affaire laisse quelque peu à désirer sous le rapport de la correction.
Le président Harrison ne vient-il pas de reconnaître lui-même le gouvernement provisoire en traitant avec ses délégués ? Si l’intervention de M. Stevens était prématurée, celle du président ne l’est-elle pas également ? Ne s’est-il pas permis de juger et de condamner sans l’entendre l’ex-reine Lili’uokalani ?
Que l’annexion d’Hawaï soit avantageuse aux intérêts de certains capitalistes américains, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Nous irons même plus loin et nous admettons franchement qu’elle serait favorable aux intérêts matériels de tous les habitants de l’archipel hawaïen, mais la question de droit devrait aussi entrer pour quelque chose dans la décision prise par le colosse américain en ce qui concerne le sort d’un jeune peuple trop faible pour défendre sa liberté par la force des armes.
Quelques-uns de nos confrères ont prétendu que l’Angleterre ne permettrait pas à l’Oncle Sam de toucher aux Îles Sandwich; qu’elle s’opposerait à l’annexion de cet archipel, non dans l’intérêt des insulaires, mais pour sauvegarder les droits qu’elle aussi prétend avoir sur ces îles lointaines. Le secrétaire d’État américain et les délégués du gouvernement provisoire d’Hawaï prétendent cependant que le projet d’annexion a été conçu et a reçu un commencement d’exécution avec l’approbation des représentants à Honolulu de l’Angleterre et des autres gouvernements européens.
Quoi qu’il en soit, le président Harrison a conclu un traité avec le gouvernement provisoire du ci-devant royaume d’Hawaï, en vertu duquel les îles sur lesquelles régnait la reine Lili’uokalani vont devenir partie intégrante de la république américaine et seront gouvernées de Washington comme le sont actuellement Alaska et les autres territoires.
La reine détrônée et sa fille vont devenir les pensionnaires du gouvernement américain. La première recevra d’abord un cadeau de $20,000, puis une rente viagère de $20,000 par année, et la princesse recevra en un seul paiement final la somme de $150,000, le tout en échange pour les droits de la souveraineté de ces deux majestés canaques.
La dette publique du royaume hawaïen sera assumée par les États-Unis et toutes les terres publiques appartenant au gouvernement hawaïen seront transférées au gouvernement de Washington.
Le traité effectuant le transfert a été soumis au sénat par le président Harrison et sa ratification paraît être chose décidée.
L’Angleterre, moins zélée que nos confrères, ne semble pas très pressée de protester contre l’énorme enjambée que le frère Jonathan vient de faire au-dessus de l’Océan Pacifique.
La photographie de la reine Lili’uokalani prise durant les années 1890 apparaît sur la page Wikipédia consacrée à Hawaï.