Une histoire incroyable
Voici une histoire comme il devait s’en vivre au Québec voilà plus de cent ans. Récit du journal La Patrie du 20 février 1889.
Une jeune fille de Québec, Mlle Célanire Desbiens, vient de retrouver, mardi dernier, d’une manière inattendue, ses frères et sœurs qui demeurent comme elle, à Québec. Voici toute l’histoire :
Il y a dix-huit ans, M. Xavier Desbiens, veuf et ayant plusieurs enfants, partit du Saguenay où il demeurait pour venir s’établir à Québec où il se remaria. La jeune fille en question était restée chez un parent au Saguenay et les autres continuèrent à demeurer à Québec avec leur belle-mère.
Quelque temps après, la jeune Célanire fut placée à l’Orphelinat des Sœurs Grises à Québec par son parent du Saguenay, et cela sans que sa belle-mère en eût connaissance. Ce parent mourut peu de temps après, et la belle-mère, malgré ses recherches, ne put jamais retrouver la jeune fille.
Les années se succédèrent, et la jeune orpheline, rendue à 10 ans, quitta l’hospice des Sœurs Grises pour aller demeurer chez un M. Dionne de la Rivière-Ouelle. Elle y resta 7 ans, après quoi elle revint à Québec et fut adoptée par M. Dupéré, de la maison Dupéré et Soucy, selliers, rue St-Paul, qui la garda chez lui pendant deux ans.
Elle savait plus ou moins vaguement qu’elle avait des frères et des sœurs, mais ignorait complètement ce qu’ils étaient devenus, et eux se trouvaient aussi dans la même position.
Depuis près d’un an, Mlle Desbiens, qui est une jeune fille accomplie, était employée comme couturière chez M. Bergevin, marchand-tailleur de la rue Notre-Dame.
Depuis longtemps, elle n’espérait plus retrouver sa famille. Aussi ne s’attendait-elle nullement mardi dernier à ce que par un heureux hasard elle allât faire cette précieuse découverte.
Mardi, un jeune homme, de 16 à 17 ans, entra chez M. Bergevin comme apprenti-tailleur. On l’introduisit dans la salle de travail où était à ce moment mademoiselle Desbiens. Les employés de cet établissement, en voyant le jeune apprenti, trouvèrent une grande ressemblance dans les traits de sa figure et ceux de la jeune fille.
On lui demanda son nom, il s’appelle Desbiens; on le questionne sur sa famille, on donne des explications de part et d’autre, et il n’y a plus de doute possible : ils sont bien frère et sœur ! La jeune fille, toute joyeuse, se jette dans les bras de son jeune frère qui pleure d’attendrissement.
Cette scène touchante émeut jusqu’aux larmes tous ceux qui sont présents. La main dans la main, ils coururent rejoindre les autres membres de la famille. Ivre de bonheur, la jeune fille se jette dans les bras de ses frères, de ses sœurs et de sa belle-mère qui avait toujours eu bien soin d’eux.
On s’imagine la joie que devait éprouver toute cette famille en retrouvant d’une manière si inattendue celle qu’on avait perdue de vue depuis un grand nombre d’années, et dont on n’avait gardé qu’un vague souvenir.
Il va sans dire que Mlle Desbiens a immédiatement transporté ses pénates sous le toit fraternel, qui abrite aujourd’hui un membre de plus, à la grande joie de tous.
La famille Desbiens demeure au faubourg St. Jean.
Selon l’annuaire Marcotte de 1889, Léonidas A. Bergevin était un «tailleur, manufacturier de hardes faites et marchand de nouveautés» au 35-45, rue Notre-Dame. Son atelier se trouvait au 102, côte de la Montagne, et sa résidence au 28, rue Hébert.
L’illustration est une partie d’un tableau appelé The Shrine, une huile du peintre anglais John William Waterhouse. 1895
Il y a quelques années, ma mère m’a offert une carte d’anniversaire avec cette jeune fille aux longs cheveux, elle trouvait qu’elle me ressemblait lorsque j’étais jeunesse. Elle n’avait pas tort. Elle cadre très bien avec l’histoire touchante de Célanire. Merci de nous faire partager des moments où le temps semble s’être arrêté…
Merci beaucoup à Vous, chère Louise. Je trouve cette carte très belle, toute de délicatesse, toute de raffinement, et de douceur donc.
Et nous parlerions aujourd’hui de la capacité de résilience de cette chère Célanire. Quelle vie ! À être «barouettée» et «barouettée». Il fallait vraiment qu’elle soit forte, qu’elle sache toujours puiser en elle.