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Les journaux de décembre

Dans la presse québécoise de 1900, dès qu’arrive décembre, les articles de fond n’ont franchement plus le même espace. On n’en a désormais que pour la publicité. Le chroniqueur Léon Ledieu y va d’une réflexion à ce sujet dans Le Monde illustré du 24 décembre 1886.

Les journaux se ressentent de l’époque de l’année et ont une allure étrange.

Les grincheux trouvent qu’on n’y voit rien d’intéressant, aux approches des fêtes de fin d’année, mais il est absurde de raisonner ainsi, car c’est prouver qu’on ne lit pas.

Les annonces constituent une littérature où l’imagination luit d’un éclat tout particulier. Ces colonnes dans lesquelles s’entassent les clichés, longs, larges, oblongs, carrés, les signes cabalistiques, les têtes de sauvages, les spécifiques infaillibles, les médecines qui font engraisser, maigrir et même mourir; tous ces titres énumérant en grosses lettres les laideurs humaines, les maladies les plus tristes, les certificats de guérison les plus comiques; ici la réclame d’un usurier, là, une annonce d’un huissier fixant le jour d’une vente, ailleurs, les crèmes pour blanchir la peau, les teintures pour noircir les cheveux, le nom d’un pédicure, l’adresse d’un hôtelier, et partout des marchandises offertes invariablement à des prix défiant toute concurrence; tout cela ressemble à une lanterne magique qui projette sur l’écran mille sujets divers…

Chacun vante sa marchandise et raconte son boniment à sa façon…

Celui-ci m’assure que l’on ne peut rien trouver de plus délicat à offrir comme cadeau de Noël qu’une douzaine de boîtes de cirage de X…; cet autre, au contraire, est d’avis qu’un pot-à-l’eau ferait bien mieux mon affaire; un troisième me fait signe et ma vante sa poudre à pâte, ou sa farine préparée; ailleurs, c’est un cordonnier qui me prie d’acheter ses bottes, un tailleurs m’offre des pantalons, le confiseur ses bonbons, etc., bref tout le monde est charlatan et je ne jurerais pas que l’entrepreneur de pompes funèbres ne nous offre pas ses cercueils.

* * *

Ces colonnes commerciales forment la danse macabre du siècle, où le grotesque le dispute parfois au sinistre et où l’on voit, Catholiques, Juifs, Protestants, Français, Anglais, Chinois, Allemands, etc., prendre place dans la ronde infernale.

C’est le terrain commun où se réunissent et se coudoient tous les chercheurs d’or.

L’annonce est en effet l’un des plus grands facteurs du commerce et de la fortune, c’est le lévrier qui fait lever le gibier que cherche le chasseur, c’est l’agent le plus puissant du négoce, c’est l’écriteau qui indique au client la route qu’il doit suivre pour mieux dépenser son argent et, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, nous subissons tous son influence et nous l’employons au besoin dans notre intérêt.

Si drôle que ce soit, c’est la vie en petit, c’est l’image de l’humanité réduite à un cadre exigü.

À quoi bon s’en plaindre et ne vaut-il pas mieux ne voir dans l’annonce qu’un moyen intelligent de nous connaître, d’entrer en relations et de nous unir dans la lutte de la vie, sans distinction de croyances ou d’opinions.

Vous le voyez, on y trouve de tout et chacun peut choisir selon son goût et ses idées particulières.

 

Contribution à une histoire de la publicité québécoise.

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