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Ah, les plaisirs de l’été !

Nous sommes déjà le 26 août 1905 dans L’Album universel. Avant que l’été ne se termine, le chroniqueur A. C. s’empresse de livrer son texte sur les bonheurs de cette saison. Place au lyrisme. Le journaliste se paie la traite.

Au Canada, si l’hiver a ses charmes, la saison d’été est d’autant plus agréable qu’elle est plus courte, et la joie, les amusements, les plaisirs des Canadiens croissent en raison directe de la brièveté des beaux jours. Aussi est-ce plaisir de voir comme tout un chacun met à profit les journées ensoleillées des mois de juin, juillet et août, que l’on voudrait voir durer encore, lorsqu’apparaissent les premières feuilles jaunies par les premiers baisers de l’automne.

Trois mois, 90 jours sur 365, un quart de l’année tout au plus, pour jouir de la nature, les mains libres et le front à découvert; c’est peu, mais suffisant pour celui qui saura mettre le temps et les circonstances à profit.

À la campagne, c’est l’époque des plus rudes travaux. À la ville, c’est la saison du repos plus ou moins complet, en un mot, la morte saison : autant là, règne l’activité, le souci des récoltes; autant, ici, domine la mollesse, le marasme des affaires. Les citadins, ayant peu ou point à faire, désertent à l’envi ville, magasins et foyers, surchauffés par les rayons trop ardents et concentrés de l’astre du jour, pour se précipiter à la recherche de la fraîcheur des bois, des rivières et des lacs, et devenir les témoins inutiles et béats des rudes travaux de nos robustes campagnards.

Les plus huppés, ceux que la Fortune comble de ses caresses, donnent le signal du branle-bas et partent, à l’apparition des premiers lilas, pour les villas princières qui les attendent sur quelques rives enchanteresses, comme il y en a tant au Canada, laissant à la garde vigilante et désintéressée de nos braves policemen, et leurs palais clos, et leurs coffres-forts, dans lesquels ils n’ont eu garde d’oublier leurs titres de rente : les cambrioleurs sont si adroits, si malins, et la police…

Les rues des quartiers fashionables se vident rondement, et bientôt les chats et les chiens, oubliés volontairement ou par mégarde, en sont les seuls occupants. Pauvres bêtes ! Entre temps, le soleil monte toujours plus à pic vers le Zénith; ses rayons perpendiculaires tombent comme du plomb fondu sur le commun des mortels, qui, n’en pouvant mais, se préparent à leur tour à laisser le soleil et la poussière grise de nos rues pour le verdoyant gazon des plaines et l’ombre des montagnes de nos fertiles campagnes.

L’été bat son plein; chacun veut en goûter les plaisir et les charmes, et si l’état de fortune, l’amour du lucre, la passion de l’argent, ou toute autre passion plus ou moins avouable, ne permettent point de passer en villégiature des semaines, des mois entiers, on s’arrange de façon à laisser tout souci durant une huitaine pour se livrer, sans réserve, aux plaisirs si sains et si variés de la campagne, ou simplement à un doux farniente, sur une île ombragée et déserte. […]

Mais qu’aperçoit-on, là-bas, au milieu des roseaux levant fièrement leur tête verte au-dessus des eaux limpides du lac ? Vite, en barque, mesdemoiselles, et prudemment, en côtoyant les bords — il faut se défier de l’onde perfide qui, chaque année, hélas ! ravit tant de précieuses existences — en côtoyant les bords, maniant la rame comme de vieux pêcheurs, vous verrez les roseaux s’incliner gracieusement comme pour vous saluer au passage, vous, les gracieuses nymphes terrestres; et, cueillant de vos blanches mains une abondante moisson de superbes nénuphars, vous en parerez vos soyeuses chevelures et paraîtrez ainsi plus charmantes, plus belles.

Et puis, quelles belles parties de plaisir à l’orée et sous le couvert des bois touffus, où il suffit d’étendre la main pour cueillir les délicieux fruits sauvages que la nature produit à profusion ! Que de douces idylles écloses à l’ombre d’un chêne séculaire ou au milieu de framboisiers ployant sous le poids de leurs gracieuses grappes rouges ! Les tracas, les soucis, les affaires… il s’agit bien de cela ! On les retrouvera toujours assez vite. Amusons-nous, jouissons sans arrière-pensée de tout ce que le séjour à la campagne offre de bon, de sain et d’agréable, et à demain les affaires sérieuses !

Tel est le cri général. Et l’on fait ample provision d’air pur et de forces pour recommencer le lendemain le dur combat de la vie enfiévrée de nos rues.

Mais déjà le soleil décline à l’horizon : il faut songer au retour. Comme au départ, les voyageurs se précipitent en foule vers les quais les plus proches. Hommes, femmes, enfants, dans un pêle-mêle indescriptible, l’un traînant l’autre, se poussant, se bousculant, s’engouffrent comme une trombe dans le bateau, qui les ramènera près de leurs foyers déserts, où rôdent, surpris et fort en peine, les chiens ou les chats qu’on y a laissés, tandis que le serin dans sa cage, ou le perroquet sur son perchoir semblent paralysés de saisissement et d’effroi par le silence inaccoutumé et mystérieux de la maison déserte.

Sur le pont, de la poupe à la proue, chacun se case comme il peut, afin de jouir le plus commodément possible des divers panoramas qui se dérouleront en cours de route.

Sur les différents quais du parcours, les mêmes scènes d’embarquement, fort prosaïques en somme, mais toujours nouvelles, intéressent les voyageurs, surtout fillettes et garçons, qui n’ont pas assez d’yeux et ne peuvent se lasser de contempler les veaux, les vaches, les cochons, les moutons, infortunés compagnons de voyage, destinés à la boucherie, et que l’on parque plus ou moins délicatement dans l’entrepont malgré la résistance désespérée des «habillés de soie», qui, eux, selon leur bonne habitude, poussent des cris de bêtes qu’on égorge. Entre temps, vaches et veaux poussent leurs beuglements plaintifs, dernier concert fort peu harmonieux, disant aux oreilles de tous la brièveté des plaisirs terrestres, de la vie, et la vanité des choses humaines ! Ce qui, le retour une fois effectué, n’empêche nullement les citadins de s’écrier : À l’année prochaine !

 

Les images paraissent dans L’Album universel du 26 août 1905 accolées à cet article d ‘A. C. On les trouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec au descripteur «Touristes».

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Bruno Archer #

    Lyrisme au cube, oui! Belle découverte.

    Merci M. Provencher

    20 août 2013
  2. Jean Provencher #

    Vous aussi, vous trouvez ! Le cher A. C. y va complètement déboutonné, sans aucune retenue. Merci à vous.

    20 août 2013

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