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Des cités-jardins imaginées

Au début du 20e siècle, on commence à promouvoir un concept tout neuf, les cités-jardins, pour le «bien-être» des populations. De grands industriels anglais et américains, en particulier, imaginent ce meilleur des deux mondes, la ville et la campagne, dans le but, bien sûr, d’augmenter la productivité de leurs employés. Le quotidien montréalais La Patrie du 14 mai 1904 y consacre un article provenant de la presse française.

Les Anglais et les Américains ne doutent de rien; ils considèrent qu’avec de l’argent et de la patience tout est possible et que rien ne doit résister à la volonté de l’homme. Le tempérament anglo-saxon ne connaît pas d’obstacles; il a toutes les ambitions.

Une campagne a commencé en Angleterre contre les trop vastes agglomérations d’habitants. Des écrivains, des romanciers, reprenant la thèse de Jean-Jacques Rousseau, dénoncent la corruption des villes, au point de vue de l’hygiène, et, à leur suite, on voit des archives, des hommes d’affaires entrer dans leurs vues, rédiger des projets, prendre des initiatives.

Le surpeuplement à Londres a pris de telles proportions qu’il est devenu un danger public. Il y a quelques années, dans les districts du centre, la population augmentait dans la proportion de 20,000 et les logements diminuaient dans la proportion de 64,000. Ce sont des chiffres officiels.

La difficulté de se loger pour les travailleurs, quelles qu’en soient les causes, les oblige à se contenter de logements exigus, où l’air manque, où leur santé est compromise. Aussi, pour atténuer les conséquences désastreuses d’un pareil état de choses, les combinaisons affluent. Le conseil de comté de Londres, qui a les attributions d’un grand conseil municipal métropolitain, rivalise avec l’initiative privée pour construire des logements à bon marché.

Mais la crise n’est pas dénouée pour autant, et des faiseurs de projets vont plus loin pour désencombrer cette capitale prodigieuse et pour mettre un terme à l’entassement.

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Une société anonyme vient de se former, au capital de 7 millions et demi de francs, pour fonder une cité nouvelle, qui sera tout ensemble une ville et un village, 1,520 hectares ont été achetés à cet effet, entre Hitchin et Cambridge, à une trentaine de milles de Londres. M. [Ebenezer] Howard, qui, depuis plusieurs années, prêche en faveur de cette idée originale, a tracé les plans de la cité rustique.

«Ce sera une ville de forme circulaire comprenant, en allant du centre à la périphérie, les édifices publics, les maisons d’habitation, les boutiques, les fabriques, les champs. Des cercles concentriques de parcs et de jardins sépareront chacune de ces séries de bâtiments. D’autre part, la ville sera entourée d’immenses champs et forêts qui appartiendront à la communauté et sur lesquels il ne pourra jamais être bâti. Pour éviter l’accroissement de population, il sera interdit d’accepter plus de 30,000 habitants, et, pour empêcher l’augmentation des loyers, il n’y aura d’autres propriétaires que la communauté.»

Le programme de cet audacieux fondateur est en voie de réalisation et il a tellement enthousiasmé un français, M. Georges Benoît-Lévy, que celui-ci s’efforce de l’introduire en France, de le vulgariser, pour que la même entreprise soit tentée dans ce pays. […]

Un grand fabricant de savons a créé pour son personnel, comme d’autres industriels l’ont fait ailleurs, des cités ouvrières. Seulement, au lieu de construire des casernes ou bien des îlots trop considérables de petites maisons, le fondateur de Port Sunlight a mis partout des arbres et de la verdure au milieu des habitations. Les maisons sont construites par groupes de huit au plus et les groupes sont aussi différents que possible. Chaque petite maison est bordée sur rue d’une pelouse de sept mètres et sur cour de vastes champs ou jardins potagers à l’usage des locataires. Ceux-ci ne disposent pas, en revanche, des petits et verdoyants jardinets qui les séparent d’une assez large rue.

En général, chaque quartier comprend soixante-dix maisons, réparties en douze groupes au point de vue architectural, et en deux catégories au point de vue des loyers.

Le grand jardin commun, dont chacun a sa part, est égal comme surface aux trois cinquièmes de la superficie totale du quartier.

L’usine est un peu éloignée et toutes ces habitations sont réellement en pleine campagne, baignées d’air et de soleil, c’est-à-dire placées dans les meilleures conditions de salubrité.

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Cette cité industrielle ressemble à beaucoup d’autres organisations patronales; elle offre des avantages et elle a des inconvénients; elle est complètement placée sous le gouvernement du patron, propriétaire de la communauté et maître absolu. […]

L’idée de réunir agréablement le confort des villes et le charme de la campagne est théoriquement irréprochable. On peut, dans une certaine mesure, la réaliser de plus d’une manière, sans recourir à la solution radicale qui consiste à bâtir en plein champ une véritable cité.

En tout cas, la leçon à retenir de ces hardis essais d’outre-Manche est que patrons et administrateurs sont également intéressés à loger convenablement les travailleurs. La création de cités-jardins telles que les Anglais l’ont comprise n’est peut-être pas d’une réalisation facile, mais c’est un moyen comme un autre, et qui vaut la peine qu’on s’y arrête.

 

La photographie de la cité-jardin Le Logis, Watermael-Boitsfort (Bruxelles), apparaît sur la page Wikipédia consacrée au concept de cité-jardin.

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