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La colonie chinoise de Montréal (seconde partie)

Hier, nous entreprenions la lecture d’un article sur les Chinois de Montréal paru dans La Patrie du 10 juin 1905. Voici la suite.

Rappelons que nous étions à visiter le temple chinois dans la grande chambre d’un des restaurants de la rue de la Gauchetière et qu’il presse au journaliste de découvrir la fumerie d’opium, lieu d’une descente de la police quelques jours, semble-t-il, auparavant.

Intrépidement, nous gravissons l’escalier d’une baraque de la rue Lagauchetière.

C’est là, nous apprend l’un de nos cicérones, que l’on a fait dernièrement une descente fructueuse.

Voici un palier sur lequel donnent deux portes. Celles-ci sont fermées. Nous frappons à la première… Pas de réponse. Nous frappons avec plus de force… Rien ne bouge. L’un de nos compagnons se penche, jette un coup d’œil dans la pièce par le trou de la serrure et se relève en souriant. Nous regardons à notre tour. Un Chinois est assis devant nous, à une table, et il mange imperturbable. Ses petites baguettes de bois voyagent avec activité entre son bol de riz et sa bouche. Nous frappons de nouveau, mais notre Chinois ne veut rien entendre.

Nous nous avisons alors d’entrer par la seconde porte. Celle-ci s’ouvre sous notre poussée et nous voici dans une chambre au plafond noir comme de l’encre et dont l’unique meuble est une espèce de table sur laquelle est étendue une natte.

Le mangeur est venu à notre rencontre, le sourire aux lèvres, comme enchanté de notre visite.

Dans une chambre contiguë, un blanc est allongé, tout habillé, sur une natte, la tête reposant sur un paquet de loques crasseuses. Il lit un journal anglais, mais ne fume pas. D’ailleurs, nous avons beau renifler, nous ne pouvons sentir la moindre odeur d’opium.

On ne fume plus ici, nous déclare le bon Chinois. J’ai vendu toutes les pipes, tout l’opium.

Mais vous avez bien le droit de fumer vous-même, lui disons-nous.

Moi, je ne fume jamais l’opium, je ne fume que le tabac, répond-il.

Et il exhibe un gros morceau de bambou creux, d’une verge environ de longueur. C’est sa pipe ou, plutôt, la pipe de la maison, car plusieurs Chinois s’en servent à tour de rôle.

La partie inférieure de cette pipe est remplie d’eau, vers le milieu se détache une minuscule tête de pipe en cuivre. Dans cette tête de pipe, on met une pincée de tabac spécial, fin comme du poil, puis on allume une allumette ordinaire dont la flamme sert, non pas à allumer le tabac comme on pourrait le croire, mais une baguette de papier de bambou roulé qui brûle sans flamme. La partie de cette baguette qui est en combustion est appliquée sur le tabac, tandis que le fumeur aspire, souffle, puis aspire de nouveau dans le tube de bambou. On entend le gargouillis, le fumeur renvoie une bouffée de fumée, et la pipe est éteinte. Quand on veut remettre la baguette de papier en état de service, il suffit de souffler dessus…

Nous allons visiter une autre ancienne fumerie sans plus de succès. La police a, évidemment, répandu dans le quartier une terreur salutaire. Il n’y a plus là-bas une once d’opium. Nous sommes très édifié.

Pour finir notre visite, nous allons, en passant, saluer M. Lee Chou, un riche commerçant de la rue St-Charles-Borromée, qui a adopté des manières des blancs et n’a plus de chinois que les traits. M. Lee Chou occupe deux étages d’une maison en brique. Il a épousé une de ses compatriotes et demeure au Canada depuis nombre d’années.

M. Lee Chou parle l’anglais avec facilité; c’est lui qui sert d’interprète aux gens de son pays quand ils ont quelque démêlé avec la justice. Il est l’agent de plusieurs maisons de commerce et vend lui-même des produits pharmaceutiques.

Grâce à lui, nous apprenons que la colonie chinoise de Montréal, qui compte environ 2,000 personnes, dont quatre ou cinq femmes, se compose d’anciens habitants de la province de Quong Tong [Guangdong], dont la capitale est Canton, et qu’il ne faut pas les confondre avec les Chinois du nord, hostiles aux Étrangers dans leur pays.

 

Cette gravure apparaît en première page de La Patrie du 10 juin 1905.

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