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Folle panique

Une panique étrange s’est produite hier après-midi, à trois heures, à l’école des petites filles, coin des rues Hudon et Desery [Dézéry], Hochelaga.

Elle fut générale chez les 700 élèves qui fréquentent cette école sous la direction des Sœurs de Jésus-Marie. Elle menaça de devenir tragique à un moment donné, mais, après une demi-heure d’efforts de la part des religieuses, un calme relatif se rétablit au milieu des enfants à l’âme absolument impressionnable, sans qu’on ait eu de fatalité à déplorer.

La cause de cette panique nous a été donnée ce matin par la révérende Sœur Marie Flora. Quatre petites filles de la division des plus jeunes revenaient à la classe après le dîner et rencontrèrent un homme qui leur demanda à quelle heure elles sortaient de l’école.

À trois heures pour les plus jeunes, à quatre heures pour les plus âgées, répondirent les fillettes.

C’est bien, je vous reverrai à la sortie, rétorqua l’individu.

Les petites filles rentrèrent à l’école, probablement très impressionnées de ce court entretien et en parlèrent à leurs compagnes.

À trois heures, c’était l’heure de sortie. Les plus petites furent bientôt dans le vestibule. L’une d’elles remarqua un homme assis sur le banc du parc en face de l’école. Il avait un couteau à la main et mangeait. Un cri partit du premier groupe. «Un homme avec un couteau» et les enfants pêle-mêle de se refouler les unes les autres à l’intérieur de l’école, répétant avec une frayeur visible incontrôlable la fameuse phrase.

L’instant de le dire et la panique devenait générale par toute l’école, chacune des élèves croyant voir l’homme au couteau sur leurs talons.

Malgré les efforts des dévouées religieuses, au nombre de quinze, il fut impossible de contrôler leurs petites filles en proie à une terreur folle.

Elles se précipitaient par les fenêtres pour les ouvrir. Cinquante d’entre elles se laissèrent glisser à l’extérieur sur le sol, d’une hauteur de dix pieds, sans qu’il en résultat toutefois un seul accidenté Une seule petite fille tenta de sauter du second étage haut de 25 pieds, et se serait infailliblement tuées si sœur Marie Flora n’avait été là pour l’empoigner par ses vêtements.

Le capitaine Carson et ses hommes, du poste des pompiers No 13, entendant les clameurs des enfants, croyant à un incendie à l’école, ne furent pas lents à être sur les lieux. Le poste n’est qu’à trois cents pieds de l’école.

La sortie des pompiers amena promptement sur les lieux le capitaine Balgnet et ses hommes du poste de police de la rue Ste Catherine Est. C’en fut assez pour amener une foule considérable qui encombra le carré en quelques minutes.

Au milieu de l’excitation générale, un jeune charroyeur de charbon, la figure noire de poussière, croyant à l’édifice en feu, dans son anxiété de sauver les enfants, se précipita à une fenêtre, la seconde du coin, rue Hudon, en brisa un carreau de son poing, pour entrer dans l’édifice.

L’apparition de cette figure noircie par la houille ajouta aux craintes des enfants déjà terrifiés, et les religieuses aidées des pompiers et des policiers éprouvèrent encore beaucoup de difficultés à les apaiser.

Le jeune charroyeur de charbon fut arrêté et amené au poste de la rue Ste-Catherine pour avoir causé du désordre.

Pendant qu’on le conduisait au poste, quatre ou cinq hommes, le croyant l’auteur de la panique, l’attaquèrent et, sans protection de la police, le pauvre homme aurait été mis en pièces. Il s’en retira avec l’œil droit au beurre noir.

Lorsque les petites filles furent finalement calmées, plusieurs étaient encore dans un état de surexcitation nerveuse qu’il fut décidé de mettre fin à la classe pour le reste de l’après-midi.

Le jeune charroyeur de charbon, ayant convaincu le capitaine Balgnet qu’il était animé que de bonnes intentions, fut relâché. Il quitta le poste sans laisser son nom.

Il fut impossible de trouver trace de l’homme au couteau et les policiers croient que la petite fille qui lança le premier cri d’alarme fut victime de son imagination.

Ce matin, les élèves revinrent à l’école encore fortement énervées. À huit heures, sans cause apparente, une nouvelle panique éclata au milieu des plus jeunes, mais elle fut promptement réprimée. Il fallut cependant, de la part des religieuses, réclamer la présence de M. William Desjardins, secrétaire de la commission scolaire d’Hochelaga, pour arrêter complètement cette nouvelle frayeur qui menaçait de nouveau de se répandre dans toutes les classes.

 

À la une du quotidien montréalais La Patrie du 19 juin 1906.

L’image est celle de la classe de Sœur Sainte-Bibiane, 4e année, école primaire Marie-Leneuf, Trois-Rivières, 1960.

6 commentaires Publier un commentaire
  1. Saisissant! Très 2013 je trouve…

    17 juin 2013
  2. Jean Provencher #

    C’est étonnant, en effet, cher Roger.

    17 juin 2013
  3. MC Lapierre #

    En cette fin d’année scolaire, je me croise les doigts … L »excitation étant à son comble du côté des élèves comme des enseignants, un petit papillon peut déclencher une tornade. Ouf, vivement les vacances !

    17 juin 2013
  4. Jean Provencher #

    Plus que quelques heures, chère Vous. Tenez bon !

    17 juin 2013
  5. silvana #

    Quelle coïncidence! J’ai fréquenté cet établissement tout mon cours primaire: Le couvent d’Hochelaga. Un édifice d’une grande beauté qui a été démoli au début des années 70. Infiltration d’eau a-t-on dit. J’en conserve une grande nostalgie.

    Merci pour ce joli clin d’œil.

    17 mars 2016
  6. Jean Provencher #

    Bien étonnante cette histoire de panique dans votre alma mater, chère Silvana !

    17 mars 2016

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