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Tout pour faire peur

Cela se passe dans l’est de Montréal. Le quotidien La Patrie propose cette histoire à la une.

Quelles sont les bornes de la crédulité humaine ? Voilà ce que le psychologue le plus expertement bourgetisant ne pourrait même pas dire, s’il faut en croire l’aventure qui vient d’arriver dans l’Est de notre ville.

On se plait à dire qu’en notre vingtième siècle, les histoires de revenants, de maisons hantées, ne sont plus qu’un épouvantail utile aux mamans. Or, ils sont innombrables ceux qui croient que c’est arrivé.

On n’a pas oublié que la foule a couru pendant des jours et des jours voir une Sainte-Face qui fermait et ouvrait ses paupières ; on se souvient qu’une maison de la rue Sainte-Elizabeth, qu’on  disait hantée, a causé tout un émoi dans le quartier.

L’histoire se répète, car c’est dans une vieille maison de la rue Parthenais, près de la rue Rachel, que lémures et vampires, fantômes et revenants ont transporté leurs ébats.

Cette maison  est isolée et sert à remiser les voitures, tombereaux, camions, brouettes, de son propriétaire, M. Thos. W. Peel, fabricant de briques. Elle est très vieille et doit avoir été construite dans les premiers temps de l’occupation du Canada par les Anglais. Construite en énormes cailloux, elle est carrée avec un toit à quatre pans triangulaires. À part une grande porte de bois qui donne sur la rue Parthenais, elle n’a plus d’ouvertures, fenêtres et portes ayant été murées avec de la brique.

Autrefois, elle avait, dit-on, été habitée par un officier anglais qui, d’après la légende, fut enterré dans la cour. Des enfants à qui cette histoire avait été racontée eurent un jour l’idée d’y aller à la brunante. Ils revinrent tout épeurés. Ils avaient vu l’officier en habit rouge, casqué de fer, illuminé par les flammes que jetaient sa bouche et ses yeux, dirent les enfants. […] on disait même que cent milles diables faisaient le sabbat dans la vieille maison.

Il va sans dire que pendant le jour tout est tranquille, ce n’est que la nuit que les esprits se livrent à leurs ébats. Or, hier après-midi, les plus braves voulurent en avoir le cœur net et allèrent fouiller la maison de fond en comble. Il y eut bien certaines défections quand, de temps à autre, un rat effrayé faisait choir le plâtre des murs branlants, mais les autres continuèrent leurs recherches et ne découvrirent que les véhicules de toutes sortes qu’y remise le propriétaire.

On résolut de revenir quand la nuit aurait ramené l’obscurité propice aux jeux des esprits et dans la soirée trois ou quatre cents personnes prirent part à l’expédition. Il était alors sept heures et la clarté donnait encore du courant à tout le monde quand M. Jos. Collerette et son beau-frère, M. Roméo Pichou, trouvèrent à une centaine de pieds de là, dans l’argile, une main coupée au poignet, un peu noircie, mais encore assez fraîche. La foule houla sous l’excitation.

C’était une main de femme, on en fit tout un cadavre et l’on  fouilla le terrain pour trouver la propriétaire de cette main que le fantôme rouge aurait jetée là pour effrayer la curiosité.

La main a été apportée au poste de police No 14, d’où on l’a envoyée à la morgue. Une enquête révélerait probablement que ce membre a été jeté par quelque étudiant en  médecine, mais cette explication est trop plausible pour être crue par tout le monde, et la consternation règne en bien des maisons.

On prie, on brûle des cierges pour que les esprits s’éloignent ; on a même fait courir le bruit que les Pères de l’Immaculée-Conception seraient venus exorciser la maison hantée, et qu’elle devait brûler hier pendant le « Sanctus ». Deux cents personnes sont venues dans l’espoir de voir brûler la vieille masure, tout en protestant qu’elles ne croyaient rien de ces racontars.

La maison  était jadis réellement hantée par des vagabonds, et aussi par des héros de bonnes fortunes de ruelles. Des individus allaient s’enivrer dans l’enceinte de ses quatre murs. Les mamans, pour empêcher leurs enfants d’aller y contempler des spectacles démoralisants, inventèrent l’histoire des spectres, qui a fini par faire courir les personnes même qui l’avaient imaginée.

 

La Patrie (Montréal), 23 mai 1904.

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