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Dans toute une année, la débâcle est un des spectacles les plus impressionnants

Dans les villes et villages le long du fleuve Saint-Laurent, on espère ne pas manquer cet événement.

La débâcle ! La débâcle à Montréal !

Quand ces exclamations sont répétées de bouche en bouche [sic], chaque printemps, des milliers de citadins accourent dans le port.

En un clin d’œil, la place du marché Bonsecours et le mur de revêtement sont envahis par une foule immense d’hommes, de femmes et d’enfants.

Pour un esprit observateur, il est fort intéressant d’étudier les physionomies gaies ou tristes de cette multitude de spectateurs, d’écouter discrètement les conversations animées du beau sexe, d’entendre les cris de joie et les questions naïves des bambins, d’épier les gestes et mouvements de certaines gens qui ont la prétention de tout savoir en fait de débâcle.

Pendant que le pont de glace se brise, avec un bruit épouvantable, et que d’énormes morceaux s’en détachent pour s’entasser ensuite ou être transportés par le courant rapide, se trouve-il un seul être humain, parmi les cinq à dix mille témoins de cette rupture des glaces, qui cherche à expliquer le curieux phénomène de la débâcle !

Pourtant, un problème aussi intéressant que difficile à résoudre se pose une fois l’œuvre de désagrégation des glaces commencée.

Les lois physiques qui régissent la débâcle sont inconnues du public en général, comme La Patrie a pu le constater, en consultant des navigateurs et même des ingénieurs-experts.

Interrogé à ce sujet, M. Ernest Marceau, principal de l’école polytechnique Laval et ingénieur-surintendant des canaux de Québec, a bien voulu lui donner les explications suivantes, et que nos lecteurs aimeront sans doute à lire :

« Les neiges en fondant font croître les rivières et les petits cours d’eau qui se déversent dans le fleuve. Le niveau de celui-ci s’élève, et la couche de glace suit.

« Sous l’action du soleil et des pluies, les glaces se désagrègent et finissent par se briser en gros morceaux. Le courant, devenant de plus en plus vif à mesure que le niveau s’élève, entraîne ces glaçons jusqu’au moment où, dans un passage resserré ou dans un endroit peu profond, ils s‘arrêtent et forment barrage.

« L’eau monte alors rapidement à l’amont jusqu’à ce que la pression devienne assez forte pour rompre le barrage. Alors, tout part à la fois, et le fleuve se dégage.

« Il peut arriver, et il arrive assez souvent, que les glaces des Grands Lacs descendent avant que le barrage soit rompu. En ce cas, si le barrage tient bon, la crue augmente et l’inondation devient presque inévitable.

« C’est, selon toute apparence, ce qui arrivera cette année, si le temps s’adoucit brusquement.

« Au contraire, si le temps reste froid durant une assez longue période, les eaux prendront lentement leur cours sous la couche de glace solide, et ne s’élèveront pas outre mesure avant la formation du barrage.

« Puis, la couche de glace s’amincira, en dessous, par l’effet du courant et, en dessus, sous l’influence de l’air et du soleil. Le barrage sera donc moins résistant, et la poussée des glaces des lacs l’emportera en assez peu de temps, de sorte que le refoulement à l’amont sera beaucoup moins considérable et probablement pas suffisant pour faire monter le fleuve au niveau du mur de protection. »

 

La Patrie (Montréal), 3 avril 1907.

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