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Parlant de paranormal, les Beaucerons ne donnent pas leur place

Dans la grande région de la Beauce, au sud du Saint-Laurent, on habite une vraie terre à revenants.

On trouve un chapitre dans l’ouvrage de Madeleine Ferron et Robert Cliche, Quand le Peuple fait la loi, sur les trépassés. Et leurs trépassés savent se manifester. Extraits.

 Le revenant est un spectre blanc aux formes confuses et vagues. Il est presque toujours de sexe masculin. Les rares récits d’apparition de femmes décrivent des mères souriantes, illuminées d’un halo, qui venaient conseiller et encourager les survivants. Ces visions ressemblent à celles de la Vierge. […]

En général, les connaissances se manifestent par des bruits insolites, ou un signal inexplicable : une ampoule électrique qui s’allume seule, l’essuie-main qui tombe et retombe, des pierres qui roulent dans la nuit, des pas dans le grenier, une pipe qui « danse » dans le cendrier. Le défunt demande ainsi les prières dont il a besoin pour l’expiation d’une faute. Il peut aussi vouloir signaler qu’il a négligé de payer une dette, de rembourser des biens acquis malhonnêtement. […]

L’époux mort dans la force de l’âge ne se manifeste pas obligatoirement, mais il est encore attaché à la vie qu’il prend des années à s’en éloigner. Sa présence physique est ressentie ; « il est là », quelquefois durant cinq ans. L’épouse peut ainsi continuer à lui faire des confidences, à lui demander conseil et une assistance morale qu’il ne refuse pas. Ce sont des relations affectives qui ne sont pas exemptes de crainte mais qui sont bien différentes des relations entre parents et trépassés où préside la peur : une peur terrible et in contrôlable. Tous ceux que nous avons questionnés préféraient ne pas parler de cette crainte, comme si, en le faisant, elle remonterait en eux avec toute son ancienne virulence. […]

L’âme en peine demeure liée, par un décret occulte, à un objet ou à un lieu. Un mot ou une seule pensée peut la délivrer. Une informatrice nous raconte qu’à chaque fois qu’elle servait de la soupe aux choux, « on » frappait trois coups sous la table. Elle se souvient de s’être fait voler des choux plusieurs années auparavant ; elle fit un rapprochement entre cet incident et la mort d’un de ses voisins et put enfin, en réentendant les trois coups dire : « Va, les choux, je te les donne ». […]

La Mort joue aussi son rôle. Par prémonition, par des songes ou par des signes, la Mort annonce sa venue. Un chien hurle à la lune, une boule de feu roule dans le ciel ou sur la terre, un oiseau s’assomme contre une vitre, etc. L’indication se précise quand le décédé est sur « les planches ». La Mort se sert de lui pour signaler qu’elle reviendra frapper la même famille : le défunt « raidira » en allongeant une jambe plus que l’autre, un cierge tombera pendant le service religieux.

Deux morts « exposés » le même dimanche en appellent un troisième dans la semaine suivante. « La Mort est dans la place » entendons-nous dire encore fréquemment. Une anxiété profonde s’empare alors de la communauté. Chacun s’interroge, se demandant s’il a satisfait à ses obligations vis-à-vis les défunts.

Cette contribution personnelle d’un  vivant au salut éternel de ses parents le projette d’une façon anticipée dans un monde supra-terrestre. Si nous ajoutons à ce rôle celui de la Mort personnalisée qui s’approche ou s’éloigne, nous sommes peut-être en face d’une façon saine de conjurer cette angoisse qu’il est normal de ressentir devant la fatalité de sa propre mort.

 

Madeleine Ferron et Robert Cliche, Quand le Peuple fait la loi. La loi populaire à Saint-Joseph de Beauce, Montréal, Éditions Hurtubise HMH Ltée, 1972, p. 47-54.

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