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« Les grosses femmes »

Les grosses femmes ne sont pas toutes dans les musées ou les cirques. Il en voyage encore beaucoup dans les tramways.

La grosse femme seule est assez inoffensive. Mais quand elle pénètre dans la voiture avec une compagne, gare aux autres voyageurs. Les grosses femmes ne bavardent pas plus que les petites, mais il n’y a pas de doute qu’elles ne leur en cèdent pas.

Aussi, les deux commères qui avaient pris le tramway ensemble avaient commencé une histoire au coin de la rue, pendant l’attente. Tout en se cramponnant aux appuis du char pour y monter, elles continuent d’échanger quelques mots et, en franchissant la porte alors qu’elles se trouvent en sûreté, le flux de paroles reprend, intarissable.

Oui, ma chère, vous pouvez le dire, les loyers ne se donnent pas.

Mais c’est affreux, répond la grosse dame ; tenez, vous savez que chez les … et elle baisse la voix, en confidence. Mais, tout en jasant, les deux amies se mettent en frais de s’asseoir. Alors, fatalement la grosse femme, dans sa distraction, calcule mal son élan, et dépose la moitié de sa corpulente personne sur les genoux du voisin.

Vous allez me dire, galant lecteur, que le monsieur n’a pas à se plaindre ! Mais il faut penser que le plaisir d’avoir une femme sur ses genoux n’est pas absolu, et qu’il diminue certainement en raison directe du poids du sujet.

Quand celui-ci vous fait l’impression du rouleau à vapeur de la Voirie, la faveur n’est pas très désirable.

Heureusement, la grosse femme n’a l’habitude de s’asseoir qu’à demi sur son voisin. Il n’est pas écrasé du coup et il lui reste toujours assez de force pour dire à l’autre avec un sourire angélique : « Pardon, Madame, je crois que…. » et il essaie de se dégager timidement.

Il faut voir l’air indigné que prend celle-là, quand elle constate sa méprise. Si Joseph était apparu aussi terrible à Putiphar, il gardait son manteau.

La grosse dame a beau essayer ensuite de mettre entre elle et son voisin une distance de protestation, sa masse remplit tout l’espace vacant.

Pour peu que le voisin ait d’imagination, il éprouve alors la vague impression d’être assis au pied d’une montagne.

L’illusion n’est cependant pas très rafraîchissante en été.

LAFF.

 

La Patrie (Montréal), 28 février 1908.

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