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Une année bissextile ? Alors les filles ont tous les pouvoirs

Ce que nous allons écrire pourrait s’intituler : « Les bienfaits de l’année bissextile » ou « Les tables renversées ».

C’est une révélation que nous allons faire.

Généralement, quand on annonce une révélation, avec beaucoup de bruit, c’est qu’il n’y a rien à révéler et qu’on veut grossir la nouvelle par le bruit qu’on fait autour.

Mais, ici, rien de tel.

Vous allez bien voir !

C’est aux « Salons artistiques », 88, rue Saint-Denis [à Montréal], où plusieurs de nos lecteurs ont dû enterrer la vie de garçon d’un de leurs amis, que s’est passé l’évènement qui nous occupe.

On sait que de temps immémorial, à moins que ce ne soit des princesses qui offrent leur main à des bergers, ce sont les messieurs qui font la cour aux jeunes filles et qui les demandent en mariage.

Or, les statistiques établissent, sans conteste, que les jeunes filles sont beaucoup plus nombreuses que les jeunes hommes.

Quelques-unes risquent donc de se trouver sans protection, sans soutien, sans joie, sans bonheur, sans mari enfin !

C’est pénible surtout quand on a le cœur tendre.

Mettant leurs têtes ensemble, quatre jeunes filles, que nous ne nommerons pas et dont l’âge demeurera un secret inviolable, ont conçu et exécuté le plan que voici :

À la faveur de l’année bissextile, mettre en présence les jeunes personnes désireuses d’accorder leur main à un légitime propriétaire, et bon nombre de ceux à qui leur situation permettrait de devenir ainsi propriétaires. Cette propriété étant exempte de l’impôt commun, son acquisition ne présente donc pas cet inconvénient qui déprécie les maisons ordinaires.

Au milieu d’un froufrou joyeux et bissextile, les invités arrivèrent.

Jeunes filles d’autrefois et jeunes filles d’aujourd’hui étaient là avec les messieurs, anciens et nouveaux, tous aimés, tous beaux !

Il y avait des fleurs ; et ces dames étaient parfumées.

Aussi l’atmosphère était-elle enivrante.

Aux accords d’une musique discrète et charmeuses, les civilités et les entretiens se nouèrent et se dénouèrent.

Déguisé en monsieur vêtu d’un correct habit noir et cravaté de blanc, le reporter de la PATRIE assistait incognito au début de cette fête de la galanterie féminine et entendait des discours comme ceux-ci :

— Il y a un siècle que je vous aime, M. Corrède.

— Pardon, 18 ans seulement, mademoiselle ; vous rappelez-vous, vous fêtiez votre 18ème anniversaire de naissance ?

— Non, je ne me rappelle pas.

Dans un autre coin, un monsieur tenait des propos de société qu’il débitait bien depuis 1842.

Les gants blancs aux mains, les invités formèrent des couples (couples éphémères, hélas ! ) et le bal commença.

 es dames avaient le pas sur leurs cavaliers — toujours à cause de l’année bissextile.

C’était elles qui conduisaient le bal.

Y eut-il des propositions de mariage ?

Les demandes furent-elles faites par les dames ?

Votre serviteur en reçut-il cinq pour sa part ?

Quelques messieurs, effrayés, prirent-ils la fuite ?

Nous n’en dirons rien et nous ne répondrons à aucune de ces questions insidieuses.

Qu’il suffise d’ajouter, pour les profanes, que la fête a été un succès complet et qu’on s’y est gentiment amusé, en charmante compagnie.

Mais les roses ne durent qu’un jour.

 

La Patrie (Montréal), 27 février 1908.

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