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En janvier 1908, à Montréal, le froid tarde

Mais finalement le voici.

Les changements brusques de température ont beau être fréquents dans notre pays, nous n’y sommes jamais assez habitués pour n’en pas souffrir. Ainsi, il faut avouer que nous ne sommes pas assez bons Canadiens pour accepter sans murmurer l’invasion subite d’un froid comme celui que nous avons trouvé à nos portes, ce matin. Tout le monde en parle et s’en plaint. […]

Ça va être le coup de la glace sur le fleuve, « le coup de froid de la grand’rivière », disent les habitants de la campagne.

De différents endroits, les dépêches annoncent que le froid est partout le plus grand de l’année jusqu’à date. […] L’eau a des hésitations extraordinaires à se figer. Elle voudrait rester active tout l’hiver, aller, venir, voir lever la lune, clapoter librement sous les étoiles. On dirait qu’elle s’efforce de vaincre le froid, ce vieil ennemi, qui la dompte depuis tant et tant d’années, qui l’emprisonne sous le cristal plus ou moins transparent, d’épaisseur variable, dont elle a été elle-même — la malheureuse — la matière première.

Mais il n’y a pas de scepticisme à dire que l’eau devra se résigner à la défaite, mais quand cela aura-t-il lieu, voilà le hic, la question  difficile à résoudre.

Afin de faire parler l’expérience, de faire dire à l’observation maintes fois répétée ce qu’elles pensent toutes deux des pronostics à faire sur la prise de la glace, le reporter de la « Patrie » s’est fait un devoir de rencontrer quelques autorités en la matière. […]

Nous avions l’heureuse fortune de rencontrer, ce matin, M. Le magistrat Jos. Riendeau, inspecteur des Pêcheries, un expert en un tel sujet, comme nous pourrions dire. […]

« Quelle est l’époque ordinaire de la formation d’une glace stable ? » demande le reporter.

« C’est presque toujours entre Noël et le Jour de l’An », affirme M. Riendeau.

« Cependant, continue-t-il, en 1868, le ferry boat « Grand Tronc No. 2 » traversait le 6 janvier pour se rendre ensuite dans les îles de Boucherville. » […]

Après avoir rencontré M. Riendeau et quelques autres qui partagent entièrement son opinion, le reporter de la « Patrie » parle du sujet «glacial » à M. J. O. Michaud, assistant-surintendant des Pilotes, un  connaisseur et un  statisticien. M. Michaud est d’avis que la glace ne prendra pas avant le 20 janvier, peut-être plus tard, à cause de l’influence plus ou moins marquée de la lune.

M. C. Lafrenière, un vieux coupeur de glace, est également du même avis que M. Michaud. « C’est la lune, voyez-vous, qui dirige tout, quant à ce qui regarde la formation d’une glace durable », affirme-t-il, en toute sincérité.

« Ce n’est pas avant le 20, plus probablement après que la glace prendra comme il faut ; du moins c’est mon opinion » dit M. Lafrenière d’un air des plus convaincu.

Et maintenant qui aura raison ?

La prophétie est tellement difficile, tellement versatile en notre pauvre humanité, qu’on ne pourra jeter le blâme ni sur l’erreur des uns, ni sur celle de l’autre.

Il n’y aura que des félicitations à adresser pour le courage qu’il y a, de nos jours, à dire ce qu’on pense.

 

La Patrie (Montréal), 10 janvier 1908.

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