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Le « chant » de l’hiver vécu à Québec, et puis de la lune présente

Dans la presse québécoise, à l’occasion, trop rarement, un certain Jules S. Lesage, journaliste, y va d’un billet d’humeur, toujours bien ficelé.

Voici un extrait de son billet de janvier 1909.

Janvier tout frimassé s’annonça tout d’abord très froid (ce qui d’ailleurs a fourni aux nombreux visiteurs du jour de l’an « l’heureuse occasion de parler de la température, un sujet de conversation toujours d’actualité ».

Puis soudain, pris de pitié pour nos faibles constitutions physiques toujours en souffrance, souffrance de quelques maux imaginaires, il s’est radouci ; poussa même la condescendance jusqu’à verser une larme sur notre sort : toute une grande journée tomba une pluie torrentielle.

Puis ce furent des jours de neige et de bourrasque, la balayeuse électrique passant dans nos rues, avec un bruit assourdissant, laissant après elle une poudrerie de neige qui aveuglait, enneigeait les piétons, affolait les chevaux ; on eut dit un véritable cyclone.

Le vent du nord-est fit même des siennes, comme cela lui arrive souvent. Sur la place de la Basilique, c’était un tourbillon de neige, gare aux « midinettes » et trottineuses qui s’y engageaient, elles étaient presque soulevées de terre et projetées de l’autre côté de la rue. Aussi que de scènes comiques, que d’éclats de rire, au son aigu et moqueur ! On eut dit des trilles d’oiseaux retrouvant soudain la liberté du plein air !

Quand cette bourrasque rageuse, cette tourmente passagère se fût apaisé, l’on vit dans nos rues toute une procession de charroyeurs de neige, leurs berlines chargées combles, et les déblayeurs de trottoirs de se crier, haut les pelles ! en guise d’encouragement et d’ardeur à l’ouvrage.

Un beau matin, chose à faire rager les hommes d’affaires, toujours si pressés de descendre à leurs bureaux, le service des chars électriques fut suspendu pour quelques heures. Quelle paix ! Quel silence ! dans notre bonne vieille ville si bruyante d’ordinaire ; l’on se fut cru transporté à cent ans en arrière. Tout le monde sans crainte d’être écrasé marchait d’un pas aisé et tranquille dans le milieu de la rue ; quelques rentiers sortis pour prendre une bouffée d’air s’interpellaient pour reprendre une conversation commencée la veille.

Et nos pimpantes québecquoises, aux jolis minois, sous leurs coiffures et manteaux de fourrures avaient l’air d’avoir emprunté les capelines et les pèlerines de leurs grandes mères. […]

Aux jours anciens et de lointaine perspective succédèrent, par un coup de baguette magique de la bonne Fée d’hiver, les jours de grâce : tous hommes et choses étaient blancs de givre à se croire transportés en plein pays de Saint-Nicolas.

Puis, la température aidant, les grands arbres de nos parcs et boulevards se couvrirent d’un verglas transparent qui scintillait au soleil, alourdissant les rameaux dépouillés de bourgeons englacés ; bref, toute une floraison floréale aux teintes diaprées qui reflétaient la lumière éclatante du jour.

Et le soir, sous la clarté de la lune, on eut dit une illumination électrique d’un effet vraiment féérique. O merveilleux spectacle de la nature créée pour l’enchantement des yeux et l’élévation de nos âmes !

Ces clairs de lune, quelle jouissance idéale, quelle mystique paix ils laissent en nous-mêmes ! Un soir de pleine lune, nous la vîmes se lever d’abord toute rousse de derrière les hauteurs boisées de Lévis, projetant une longue traînée rougeâtre sur les eaux englacées du grand fleuve. À mesure que l’astre des nuits montait lentement à l’horizon encore tout empourpré, elle se fit toute blanche et resplendissante, réflectant ses rayons caressants sur les glaces mouvantes qui, pareilles à des grands miroirs, lui renvoyaient son image fidèle.

À la contempler ainsi dans sa course nocturne gravitant à son zénith, prendre sa place parmi les étoiles, elle nous semblait une fiancée, à l’angélique figure rayonnante de bonheur qui, avec une grâce innée, monte à l’hôtel de l’hyménée, elle aussi accomplissant une ascension et prenant sa place parmi ses heureuses compagnes, ses sœurs en l’humanité.

Il en est encore qui, sans être ni bardes, ni troubadours, rêvent le soir aux étoiles, ou chantent leur ballade à la lune, croyant en leur candeur naïves « aux mariages écrits au ciel ».

 

La Patrie (Montréal) 16 janvier 1909.

On trouvera ici quelques billets de Jules S. Lesage, depuis Québec.

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