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Vous souvenez-vous des lanternes magiques ?

Sans doute pas. Nous en étions au théâtre de rue. Le poète et romancier français Jean Richepin (1849-1926) le rappelle.

Dans une ville comme Paris, on trouvait à la fin du 19e siècle ce qu’on appelait des « montreurs de lanterne magique ». Ceux-ci avaient pour métier d’épater les citadins. Nous sommes dans un autre temps.

C’est dans les rues tranquilles, à la tombée de la nuit qu’il arrive, à l’heure où l’on va coucher les bambins après le repas du soir.

Dans le silence du crépuscule, tandis que les becs de gaz s’allument et piquent l’ombre de papillons d’or, il se met à moudre lentement un air sur son orgue de barbarie, un air vieillot, nasillard et tremblotant ; puis, quand la dernière note a fini son dernier couac, on entend une voix traînante et mélancolique qui semble venir de très loin, et la ritournelle monte en s’alanguissant à travers les fenêtres closes :

Lanterne magique ! Lanterne magique ! Piè-è-ches curieu-eu-ges !

Vous rappelez-vous les mystérieuses attirances de cette voix, et comme votre cœur d’enfant vibrait aux promesses de cette annonce ? On somnolait déjà, on sentait passer dans ses yeux madame la Poussière et monsieur le Rêve, on avait les paupières lourdes et la tête ballante ; et tout à coup la chanson lointaine, lointaine, vous réveillait. On prêtait l’oreille. Elle se rapprochait. Pièces curieuses ! Qu’est-ce que cela pouvait bien être ? et l’on suppliait les parents d’ouvrir la fenêtre close et d’appeler le bonhomme qui, tout en marchant, continuait à psalmodier ou à faire coincoinner son orgue.

Et quand les parents avaient cédé, quelle fête ! Adieu l’envie de dormir ! Les yeux clairs s’écarquillaient. Bouche béante, on s’extasiait devant les pièces curieuses, et, quand c’était fini, on voulait encore qu’il recommençât.

On les connaissait pourtant par cœur ces fameuses pièces curieuses ; c’était toujours le même chose avec les mêmes boniments : la Tentation de Saint-Antoine, le Pont cassé, le Royaume céleste.

Le montreur était presque toujours un Auvergnat, et j’ai encore dans l’oreille les refrains fortement accentués dont il accompagnait l’apparition de ses tableaux ; je ne les vois pas autrement qu’avec ses légendes, défigurés dans ma mémoire par la prononciation du bonhommQuand les diablotins assiégeaient la hutte de l’ermite et donnaient la chasse au cochon affolé, la barbe en nuage du saint et la queue en vrille de la bête battaient si bien la mesure du refrain. […]

Et dans le silence des quartiers tranquilles, à la tombée de la nuit, son cri et son orgue agonisant font songer à quelque sinistre drame comme celui de Fualdès, et en même temps vous remémorent les doux et délicieux souvenirs d’enfance.

C’est là une sensation exquise.

Hélas, ! nous la perdrons bientôt, quand le dernier montreur de lanterne magique aura disparu ; sa chanson était une de ces mélopées où l’on entend bruire toute sa jeunesse, comme on perçoit tous les murmures et tous les rires de la mer dans le bourdonnement d’un coquillage.

Jean Richepin.

 

Le Canadien (Québec), 16 décembre 1893.

Ci-haut, une preuve que nous avions des lanternes magiques au Québec, voici la lanterne magique de la maison-mère de l’atelier de photographie des Sœurs de la Charité de Québec. L’illustration est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds Les Sœurs de la Charité de Québec, Maison-Mère, cote : P910, S1, D4, P298.

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