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« Le chat »

Le jour d’hier a commencé, pour moi, comme je rentrais, à trois heures du matin, par une rencontre avec un chat.

Ce chat, en m’apercevant, a traversé la rue, bien que je n’eusse pas été présenté. Et aussitôt toutes sortes de courbettes : Eh ! mon Dieu, oui, c’est moi. Je suis un très beau chat. J’ai eu quelques visites à rendre cette nuit, et je trouve ma porte fermée. Je demeure en face.

Là-dessus ronron, course au trot autour de ma personne, gros dos, joute à coups de tête contre mon pantalon, à la façon des chèvres ; tout le boniment habituel. Après quoi, il a traversé la rue pour me montrer le chemin, évitant les flaques, tenant sa queue droite, comme s’il eut porté l’épée de Charlemagne. Je l’ai suivi.

Il m’est arrivé bien des fois de rendre service à des chiens ; ils me conduisent à leur porte ; je sonne violemment ; on tire le cordon ; je fais rentrer la bête, je referme la porte et je m’éloigne, pendant que le concierge, surpris qu’un locataire fasse si peu de bruit en montant l’escalier, toutefois se rendort. Cet office ne m’avait pas encore été réclamé par des chats.

Or, celui-ci demeure dans une boutique. Que faire ? je ne pouvais décemment cogner à la devanture d’un magasin clos et dénué de sonnette. Je me suis excusé comme j’ai pu avec des caresses. Mais le chat avec ses yeux m’a dit clairement alors :

Tu ne sais même pas te faire ouvrir une boutique ? c’est bon, tu n’es qu’un imbécile ; passe ton chemin.

Et sans plus de souci de moi, il s’est assis sur le trottoir, simplement attentif, désormais à sa toilette du matin, qu’il a faite avec un soin méticuleux.

Jean Destrem [1842-1929]

 

La Patrie (Montréal), 23 décembre 1893.

Une photographie, bien sûr, de Jessica Giguère, pour l’organisme Adoption Chats Sans Abri, à Québec.

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