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Nérée Beauchemin, un poète peu connu

De tous les poètes québécois de son temps, Beauchemin (1850-1931) est celui qui écrivait, je trouve, de la manière la plus ancienne, la moins semblable à ses semblables. Lorsque ses poèmes étaient trempés dans l’eau bénite, o la la qu’ils sont aujourd’hui difficilement supportables. Mais d’autres ont mieux vieilli ; celui-ci, par exemple, qui fait la une de La Patrie du 24 octobre 1889.

Dans le Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord (Fides, 1989), de Réginald Hamel, John Hare et Paul Wyczynski, on lit « Sa poésie se veut simple, régionale et patriotique ».

 

 

Miseria

Les gueux souffrent ; l’argent est rare ;

Le terme échoit ; le pain est cher.

On manque de tout chez Lazare,

Et voici venir l’âpre hiver.

Déjà souffle la bise ; il gèle ;

Il faut du bois ; il faut du feu.

Lazare vous tend l’escarcelle ;

Un sou, pour l’amour du bon Dieu.

 

Derrière les vitres cassées

De ces taudis au noir pignon,

Dans ces tristes maisons tassées,

Se cachent des douleurs sans nom.

Par les fentes du toit qui coulent,

Par les fissures du mur gris,

Montent avec un bruit de houle,

Des pleurs, des râles et des cris.

 

Que n’ai-je la palette sombre

De Velasquez et de Dürer,

Pour rendre les scènes sans nombre

Qui m’ont fait tant de fois pleurer !

Que dis-je ? Nul ne pourrait peindre

La navrante réalité,

Des gouffres où l’on entend geindre

Tes doux martyrs, ô Pauvreté !

 

Regardez : près d’un grand lit vide,

Immobiles, comme abêtis,

Les yeux hagards, le teint livide,

Se pressent encore les petits ;

Du regard ils cherchent la mère,

Mais la mère est sous le linceul ;

Aux pleurs des orphelins, le père

Vient de comprendre qu’il est seul.

 

Là c’est une veuve qui peine

Seule pour nourrir cinq marmots.

Ô riches, donnez à main pleine,

Pour la mère et pour les petiots.

La grand’ville a l’âme trop fière,

Elle a le cœur trop généreux,

Pour laisser mourir de misère

La famille des malheureux.

 

Les gueux souffrent ; l’argent est rare ;

Le terme échoit ; le pain est cher.

On se meurt de faim chez Lazare,

Et voici venir l’âpre hiver.

Déjà souffle la bise ; il gèle ;

Il faut du bois ; il faut du feu.

Lazare vous tend l’escarcelle ;

Un peu d’or, pour l’amour du bon Dieu.

 

Nérée Beauchemin.

 

La Patrie (Montréal), 24 octobre 1889.

L’illustration de Nérée Beauchemin est extraite du Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord.

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