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Saint-Césaire, vous avez un héros (troisième de trois billets)

Retrouvons Antoine Gagné, dit Bellavance, 104 ans, qui confiait au reporter de La Patrie qu’il n’avait jamais été un grand buveur d’alcool, bien au contraire. L’homme à la mémoire infaillible répond aux questions du journaliste.

« Et le tabac, M. Gagné ?

« Je n’ai jamais mis une pipe dans ma bouche. Et pourtant, ajoute-t-il, mon défunt père était un gros « fumeux ». Souvent, il me disait : « Mon petit garçon, va allumer ma pipe ». J’avais un tel dégoût du tabac que j’allais lui chercher un tison et je le laissais allumer sa pipe lui-même. Combien d’enfants profitent de cette aubaine pour tirer leurs premières bouffées de tabac ! Je crois que je tiens cette horreur que j’ai du tabac de ma mère qui ne fumait pas non plus — nos mères fumaient dans le temps — et qui détestait souverainement l’odeur du tabac.

Puis le bon vieillard nous met un peu au courant de son existence qu’on peut appeler mouvementée si on la compare aux vies sédentaires de nos gens de la campagne. À huit ans, il accompagnait son père qui venait s’établir à Saint-Césaire. Il était à Saint-Hyacinthe qui n’était qu’un petit village dans le temps. Saint-Césaire n’existait pas. C’était au fond des bois. On s’y rendait en canot l’été par la Yamaska et en traîne sur la glace de la rivière l’hiver. « C’était du bois partout » dit M. Gagné, et le gros bois de première croissance. Il y avait déjà deux familles établies à cet endroit de la rivière Yamaska. Nous fûmes la troisième et mon père et ma mère se mirent ardemment à la besogne pour défricher cette partie du pays.

« C’était le terrain du roi dans le temps et cela nous coûtait rien. On se fit un « log cabin » et nous vécûmes d’abord de chasse et de pêche qui abondaient dans le temps. […]

« Et, malheureusement, bien malheureusement, ajoute M. Gagné à une question que nous lui posons, je n’ai pu aller à l’école et je ne sais ni lire ni écrire. Je ne puis même signer mon nom. Voyez-vous, je suis poussé au fond des bois. Il n’y avait pas d’école et pas d’église. La première fois que je vis une église, ce fut lorsque j’accompagnai mon père qui allait porter du blé en canot par la Yamaska à Saint-Hyacinthe. […]

« Et quel régime de vie suivez-vous pour pouvoir continuer un état de santé aussi phénoménal chez un homme de votre âge ?

« Le plus simple possible. Comme je vous ai dit, je m’abstiens de tabac et de boisson. Je me couche à 8 heures du soir pour me lever à l’Angelus, qui est ma première prière. Puis je prends les crucifix de deux de mes filles qui sont mortes religieuses et je leur adresse une prière. Je mange deux bons repas par jour et le moins de viande possible. Je n’ai jamais été un gros « mangeux » et je crois que les excès de table sont les meilleurs amis du médecin.

« Dans mon jeune temps, on faisait les travaux des champs « à bras », c’est-à-dire qu’on n’avait pas les machineries d’aujourd’hui. Les heures de travail étaient longues et, vers les quatre heures de l’après-midi, on faisait la collation. Eh bien ! croiriez-vous que je n’ai jamais pu m’habituer à prendre cette collation. Je me suis toujours fait une règle de ne manger qu’aux repas. Maintenant je ne mange presque plus le soir et, cependant, malgré mes 104 ans, je pèse le joli poids de 155 livres [un peu plus de 70 kilos].

En prenant congé de M. Gagné, et le remerciant de son affabilité, le bon vieillard nous dit :

« Vous voulez donc à tout prix me faire « promener » sur les gazettes !

 

La Patrie (Montréal), 19 septembre 1906.

Voici les trois billets, l’un à la suite de l’autre.

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