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Saint-Césaire, vous avez un héros (premier de trois billets)

En avez-vous encore souvenance ?

Saint-Césaire, traversé par la rivière Yamaska, dans le comté de Rouville, en Montérégie, a déjà eu un centenaire de bien bonne mémoire, Antoine Gagné, dit Bellavance. Le quotidien montréalais La Patrie lui fait toute la place le 19 septembre 1906. Un reporter raconte.

Un phénomène, disions-nous, que ce vénérable centenaire ; c’est bien l’idée qui nous est restée de cette visite. En effet, M. Gagné est droit comme un peuplier, a l’œil clair, l’oreille encore assez bonne, et surtout une mémoire qui rendrait des points à plus d’un d’entre nous. Il n’y a aucune exagération en ceci : M. Gagné peut vous défiler tout le récit de sa vie sans en omettre les moindres détails.

Il vous racontera en quelles circonstances il est venu se fixer, à l’âge de 8 ans, à l’endroit où se trouve maintenant Saint-Césaire, et qui était alors au milieu du bois ; comment il prit part à l’insurrection de 1837 ; les voyages qu’il fit aux États-Unis et au Manitoba ; l’étonnement qu’il avait causé dans l’ouest lorsqu’il s’était mis en tête de construire une cheminée à l’âge de 84 ans, au mois de septembre 1887 […].

Sans aucune hésitation, avons-nous dit. Nous nous trompons. Dans toute cette conversation, qui a duré plus de deux heures, cet homme de 104 ans a eu une absence de mémoire. Qu’on en juge : M. Gagné était à raconter qu’il avait assisté à la succession complète des curés qui ont occupé la cure de Saint-Césaire.

« Il y eut d’abord, dit-il, le curé Leduc. Ce fut le premier. Puis vint M. Quintal. Ensuite, voyons, qui fut le troisième ? C’est drôle, je l’ai sur le bout de la langue. Enfin, passons aux autres : le quatrième curé fut M. Delisle ; le cinquième, M. Boisvert ; le sixième, M. Lamarre ; le septième, M. Turcotte ; le huitième, M. Provençal et le neuvième, le curé actuel, M. l’abbé Boivin. »

Un quart d’heure plus tard, comme le centenaire s’apprêtait à poser devant l’appareil photographique, songeur depuis quelque temps :

« Eh ! dites donc, M. le rapporteur de La Patrie, c’est M. Poirier. »

« Qu’avez-vous à raconter au sujet de ce M. Poirier, répondit le reporter qui n’a pourtant pas plus ingrate mémoire que d’autres et qui, cependant, avait déjà oublié l’incident de la nomenclature curiale.

« Eh ! oui, c’est bien M. Poirier.

« Je vous écoute.

« Mais vous ne comprenez donc pas, fit le centenaire de sa bonne voix blanche, aux éclats de rire de la famille qui entourait les deux interlocuteurs, c’est M. Poirier qui fut notre troisième curé.

Et savez-vous à quoi principalement ce vénérable vieillard attribue le secret de sa longévité et de sa santé — qu’on ne voit pas ici de redondance — c’est tout simplement l’observation des quelques conseils suivants :

Méfiez-vous de l’alcool, n’en usez que bien modérément. Ne fumez pas. De bonne heure couché et tôt levé. Mangez peu et le moins de viande possible.

Toute la vie de ce vieillard de 104 ans tient autour de ces quatre maximes. Mais il y a une autre raison de la longévité de M. Gagné, celle-là d’ordre plus intime et il a bien voulu la communiquer aux lecteurs de La Patrie ;

« Vous savez, mon père me disait toujours : Antoine, nous ne vivons pas vieux dans notre famille. Nous appartenons à une race qui n’atteint jamais 50 ans. N’oublie jamais ceci. »

« Je me pénétrai de ce conseil et j’acquis plus tard la conviction de sa vérité lorsque je vis mon pauvre père s’éteindre le 31 décembre, lorsque, au mois de janvier suivant, il aurait atteint ses 50 ans. J’en conclus que nous ne dépassons pas 50 ans dans ma famille. Vous pouvez penser si, à l’approche de mes 50 ans, je me préparai à rendre mon âme à Dieu. Et depuis cette date que j’attends toujours le moment où le bon Dieu m’appellera à lui…

« Voilà 54 ans que vous attendez, fimes nous.

 « Je commence à croire que le bon Dieu m’a oublié, fit le vieillard en riant.

 

La Patrie (Montréal), 19 septembre 1906.

Demain : la suite, soit le second de trois billets.

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