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Le naturaliste Fulbert Dumonteil au sujet de certains papillons de France

Passons en revue nos plus beaux papillons de France d’un coup de plume aussi rapide que leur vol, nous arrêtant à chacun d’eux comme chacun d’eux s’arrête à la fleur qu’il aime.

Et imaginez — ô surprise ! — que le naturaliste débute avec le Grand Porte-Queue (Papilio cresphontes, Giant swallowtail) qui, depuis quelques jours a fait l’objet d’un commentaire sur ce site de Madame Marquis, de Saint-Eustache, et de Madame Lachance, de Val-des-Monts.

En France, on l’appelle Machaon et sa page Wikipédia dit qu’il est arrivé à Montréal en 2012.

Fulbert Dumonteil écrit :

Voici d’abord les papillons « nacrés », tachés d’argent, qui recherchent le suc des violettes, et le gracieux, le magnifique « machaon » avide de fenouil, « l’ange » des champs et des bois qui porte au-dessus de ses ailes des taches pareilles à des yeux ; voici le songé « jaune clair » et le « souci » jaune orange, les « coliades » qui voltigent dans nos prairies en agitant leurs ailes d’or brodées de velours noir.

Les papillons aux goûts rustiques recherchent les choux et les navets comme le « citron » aux ailes d’un jaune éclatant courtise les luzernes odorantes et les trèfles roses.

N’oublions pas le « aklvin » [sic, il s’agirait peut-être du Melanargia galathea, inconnu au Québec], aux ailes noires ponctuées de larmes blanches, vulgairement appelé papillon-deuil. Il jouit d’une réputation sinistre comme si sa robe portait malheur. J’ai vu des bergères naïves, mais cruelles, s’attarder, s’acharner à la poursuite du bel insecte par des cris joyeux et le faire mourir à coup d’épingle.

Quel était son crime ! S’il se posait sur la corne d’un bélier, on croyait que tous les agneaux seraient malades, et que le fiancé de la bergère mourrait dans l’année. Les agneaux, passe encore, mais le fiancé !

Voici encore une victime de la superstition humaine : un papillon charmant, la brillante « vanesse » aux ailes d’argent et d’or. Au moment de prendre son vol, ce papillon étrange répand un liquide d’un beau rouge carminé ; le mur sur lequel tombe cette éclatante liqueur semble teinté de gouttes de sang. C’est est assez ; terrifié par ce phénomène, le peuple a fait de ce gracieux insecte la réputation d’un affreux vampire voltigeant autour des berceaux pour boire le sang des nouveaux-nés.

Le crépuscule a ses papillons comme le jour ; ce sont les « phalènes » et les « sphinx » au vol rapide, plongeant dans le calice des fleurs une trompe aussi longue que leur corps. Le roi de cette famille nocturne, le « sphinx tête de mort », avide de miel et de parfum, se glisse jusque dans les ruches, épouvantant les abeilles par son lugubre uniforme qui porte la figure d’un crâne humain.

À ce sinistre emblème, il convient d’ajouter des pattes velues, de grandes ailes qui s’étendent silencieusement dans les ténèbres et un cri dolent aigu qui semble une plainte d’outre-tombe. De ce papillon nocturne, si original et si curieux, la superstition a fait une bête maudite, un précurseur de la peste, un messager de malheur. Ce gémissement, dit-on, présage la mort. Ce crâne porté en […] annonce un cadavre et cette aile silencieuse indique le chemin d’une tombe.

Quand il entre dans une maison, le sphinx tourne comme une ombre autour des flambeaux et il éteint la lumière comme la mort éteint la vie. Eh bien, ce fantôme ailé est beaucoup plus pratique qu’on ne l’imagine ; ce papillon spectre n’est qu’un goinfre déguisé en croque-mort. C’est le fléau des ruches, je le répète, grâce à la terreur qu’il inspire, il se promène tranquillement de ruche en ruche et se gave de miel. Il en a plein la bouche, sur ses pattes, sur ses ailes, sur sa tête de mort.

Cet étrange papillon d’origine américaine, n’est pas ancien sous nos climats. Il nous est venu avec la pomme de terre, dont sa monstrueuse chenille dévore les feuilles. On peut affirmer, cette fois, que le sphinx tête de mort ne fut pas un messager de molheur [sic].

Fulbert Dumonteil.

 

 La Patrie (Montréal), 19 août 1889.

Le 10 000 émigrés venus de France de 1600 à 1760 n’ont pas apporté en Amérique ces croyances superstitieuses au sujet des papillons.

La photographie du Machaon est extraite de sa page Wikipédia.

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