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Vaudreuil, c’est beau comme un rêve !

Voilà notre chère Françoise, Robertine Barry (1863-1910), à Vaudreuil pour la première fois.

— Vaudreuil ! Vaudreuil ! Dit le conducteur par la portière ouverte.

Arrachée brusquement d’une demi-somnolence, je ramassai à la hâte mon ombrelle et m’élançai sur la plate-forme du char comme le train entrait en gare.

Oui, c’était bien Vaudreuil, le Vaudreuil tant vanté que je voyais enfin pour la première fois.

Un cri d’admiration s’échappa de mes lèvres.

Vous imagineriez difficilement de plus joli endroit. Tout plein de verdure, de fleurs, d’ombrage et d’horizons charmants.

Une belle nappe d’eau s’étend à perte de vue, et ses méandres sinueux forment mille détours, creusant mille enfoncements. Cette rivière semble, pour me servir de l’expression de Balzac, « aimer tellement le pays, qu’elle se divise en mille branches et fait une infinité d’ilots et de tours afin de s’y amuser davantage. » […]

C’est beau Vaudreuil, beau comme un rêve, « un vrai coin de paradis oublié sur la terre », et je m’étonne de ne pas en entendre parler plus souvent. […]

Tout près [de l’hôtel de Vaudreuil], se trouve un charmant ilot, qu’on dirait jeté là tout exprès, et sur lequel on a construit un kiosque rustique. Il doit faire bon de pouvoir y jouir longuement de toutes les beautés qu’offre ce pittoresque paysage. Un petit pont relie entre elles les deux rives.

Deux fois la semaine, un orchestre vient à l’hôtel y faire entendre une bonne musique. Rien de plus séduisant que de voir, aux premiers préludes des instruments, surgir des pelouses ombreuses ces couples animés qui s’en vont tournoyant gracieusement sur le parquet ciré du grand salon.

Les touristes se renforcent dans ces occasions de la belle jeunesse du village et faut voir avec quelle ardeur joyeuse et quel entrain on conduit le bal.

Les dames et les jeunes filles font un brin de toilette et ces fraîches robes blanches, ou bleues, ou roses, dont les reflets chatoyants se marient si harmonieusement aux reflets des lumière sont d’un effet délicieux. Et de ces draperies vaporeuses se dégagent des fragrances qui flottent mollement dans l’atmosphère attiédie.

Ainsi, il n’est pas étonnant de voir les messieurs, si empressés, si attentifs, autour de si attrayantes partenaires.

Le jour, l’hôtel est presque silencieux. Le matin, d’assez bonne heure, la gent masculine s’embarque pour la ville et les veuves d’occasion se consolent de leur absence comme elles le peuvent.

Les dames commencent d’interminables parties de whist ou se rassemblent sous la spacieuse véranda et disent, — comme c’est toujours le cas d’ailleurs dans les réunions de ce genre, — toutes sortes de bonnes choses sur le compte du prochain.

Les jeunes filles vont rêver sous les grands arbres, babiller un peu, lire quelques pages de roman ou quelques bouts rythmiques d’un poète favori. […]

Les soirs, ah ! les soirs, parlons-en, ils sont délicieux.

La chaleur du jour est tombée et fait place à une brise tiède qui berce les feuilles en leur murmurant d’étranges choses. Avez-vous jamais compris ce bizarre langage ? ce que ce chant veut dire à la sombre ramure ? et ce qu’elle y répond dans son frissonnant trémolo ?…….

Au firmament, les étoiles scintillent doucement et jettent de pâles clartés sur les eaux qui s’endorment.

 

La Patrie (Montréal), 1er août 1892.

La photographie de Blanche Lacoste faisant du reprisage sur la galerie de la maison de Vaudreuil vers 1895 provient de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le Vieux-Montréal, Fonds Famille Landry, Souvenirs de famille, Photographies, cote : P155,S1,SS1,D227.

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