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Jean Giono préférait de beaucoup la campagne à la ville

Même Paris ne semblait lui plaire. Il trouvait son bonheur dans son pays rural. Dans son livre Solitude de la pitié (1932), il y va de portraits, dirais-je, de courtes nouvelles. Et il le termine avec Le chant du monde. Extrait.

Il y a bien longtemps que je désire un roman dans lequel on entendrait chanter le monde. Dans tous les livres actuels, on donne à mon avis une trop grande place aux êtres mesquins et l’on néglige de nous faire percevoir le halètement des beaux habitants de l’univers.

Les graines dont on ensemence les livres, on les achète toujours au même grainier. On sème beaucoup l’amour sous toutes ses formes et c’est une plante bien abâtardie ; encore une ou deux poignées d’autres graines et c’est tout, Tout ça d’ailleurs se sème sur l’homme.

Je sais bien qu’on ne peut guère concevoir un roman sans homme, puisqu’il y en a dans le monde. Ce qu’il faudrait, c’est le mettre à sa place, ne pas le faire le centre de tout, être assez humble pour s’apercevoir qu’une montagne existe non seulement comme hauteur et largeur mais comme poids, effluves, gestes, puissance d’envoûtement, paroles, sympathies.

Un fleuve est un personnage, avec ses rages et ses amours, sa force, son dieu hasard, ses maladies, sa faim d’aventures. Les rivières, les sources sont des personnages : elles aiment, elles trompent, elles mentent, elles trahissent, elles sont belles, elles s’habillent de joncs et de mousses.

Les forêts respirent. Les champs, les landes, les collines, les plages, les océans, les vallées dans les montagnes, les cimes éperdues frappées d’éclairs et les orgueilleuses murailles de roches sur lesquelles le vent des hauteurs vient s’éventrer depuis les premiers âges du monde : tout ça n’est pas un simple spectacle pour nos yeux.

C’est une société d’être vivants. Nous ne connaissons que l’anatomie de ces belles choses vivantes, aussi humaines que nous, et si les mystères nous limitent de toutes parts c’est que nous n’avons jamais tenu compte des psychologies telluriques, végétales, fluviales et marines.

Cet apaisement qui nous vient dans l’amitié d’une montagne, cet appétit pour les forêts, cette ivresse qui nous balance, regard éteint et pensée morte, parce que nous avons senti l’odeur des bardanes humides, des champignons, des écorces, cette joie d’entrer dans l’herbe jusqu’au ventre, ce ne sont pas des créations de nos sens, ça existe autour de nous et ça dirige plus nos gestes que ce que nous croyons.

 

Jean Giono, Solitude de la pitié, Paris, Gallimard, 1932, p. 148s.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Claude Fortin #

    Bonjour Jean,

    Cet article me rejoint beaucoup. À la campagne ou en forêt, je peux observer la vie autour de moi sous toutes ses formes en silence. C’est difficilement réalisable pour ne pas dire impossible dans les villes.

    Bonne journée !

    8 août 2017
  2. Jean Provencher #

    Merci, cher Claude. Et tu as bien raison. Il faut être disponible et la ville ne le permet guère, sauf dans quelques retraites hors des bruits.

    8 août 2017

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