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« Le carousel, Jardin du Luxembourg »

Munis d’un toit et de son ombre

la troupe de chevaux bariolés

se met à tourner pour un moment ;

tous sont de ce pays

qui longtemps hésite avant de sombrer.

Si certains d’entre eux trottent en attelage

tous ont pourtant le même air décidé ;

un lion court près d’eux rouge et méchant

et de temps en temps un éléphant blanc.

 

Il y a même un cerf comme dans les bois,

sauf qu’il a une selle et sur cette selle

une petite fille bleue tenue par des courroies.

 

Un garçon tout blanc chevauche le lion

et s’y tient ferme d’une blanche main chaude

tandis que le fauve montre sa langue et ses crocs.

 

Et de temps en temps un éléphant blanc.

 

Et sur les chevaux passent,

des petites filles claires aussi

déjà trop âgées pour ces cabrioles

et en plein vol elles lèvent leur regard

pour le poser ailleurs, quelque part.

 

Et de temps en temps un éléphant blanc.

 

Et tout continue, se hâte vers la fin

et tourne et vire sans cesse et sans but.

Un rouge, un vert, un gris qui passent en hâte

un petit profil à peine ébauché.

Parfois un sourire aux anges

se tourne, éblouit et disparaît

dans ce jeu aveugle et hors d’haleine…

 

Rainer Maria Rilke, Poésie Œuvres II, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 203s. Édition établie et présentée par Paul de Man.

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