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Un violoncelliste prend le tramway

Nous sommes à Montréal.

Il est un peu plus de cinq heures de l’après-midi. Les tramways ne sont pas encore bondés, mais déjà des travailleurs revenant de l’ouvrage les envahissent.

Ce sont les heureux bénéficiaires de la journée de huit heures.

Dans la voiture qui m’emporte vers le Mile-End, nous sommes une dizaine de voyageurs. Tous ont l’air d’avoir hâte, comme moi, de se retrouver à la maison. Le moindre arrêt les énerve.

« Rachel ! » crie le conducteur.

Il n’y a pas à regimber : on arrête toujours à cette rue. Mais qu’est-ce qui se passe donc, qu’on ne reparte plus ?

C’est un monsieur qui a de la misère à entrer dans le char. Sans être géant, il est assez gros, mais ce n’est pas sa taille qui le gêne. Il porte un de ces violons monstres que la langue française — avec sa logique coutumière — désigne sous le diminutif de violoncelle.

Cela est haut comme un homme et demi et gros comme deux. Enfin le monsieur a passé son instrument dans la porte et nous repartons.

Sans se soucier de l’intérêt qu’il provoque — il y est sans doute habitué — il va s’asseoir à l’avant du tramway avec son instrument debout à côté de lui.

Les deux prennent la place de trois, mais personne ne maugrée parce qu’il y a encore des banquettes vides.

Le conducteur fait la perception des billets. Je le vise : il n’a chargé que le prix d’une personne au monsieur avec son gros instrument.

Il passe au voisin, puis à un autre et arrive à un petit maigre, une espèce d’allumette, comme disent les gens, avec une figure en lame de couteau. Il n’est réellement pas permis d’être aussi maigre.

Le monsieur donne son billet au conducteur, mais avec la grimace d’un homme qui trouve quelque chose à redire. Je l’entends murmurer, pendant que l’employé s’éloigne : « Si c’est une justice de me charger le même prix que ce gros-là avec sa boîte ! »

LAFF.

 

La Patrie (Montréal), 25 février 1908.

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