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La nuit selon Jankélévitch

Sur ce site interactif, il y a plus de 300 billets où la nuit est évoquée. Ce temps du jour est si différent de l’autre. Le philosophe et musicologue Vladimir Jankélévitch (1903-1985) en parle.

La nuit exprime à sa façon la même pudeur de toute précision topographique ; la nuit est une autre forme de dépaysement. […] Chaque soir, quand le crépuscule s’endort dans la vallée, l’homme nocturne accomplit sans changer de lieu ce voyage allégorique ; chaque soir l’insolite et l’étrange s’installent avec les ténèbres sur la scène familière de notre travail, de nos habitudes, de notre quotidienneté prosaïque. […]

La nuit quotidienne, la nuit qui est, après tout, le verso journalier de notre tous-les-jours, l’envers poétique d’une double existence dont l’endroit prosaïque, diurne, laborieux, atteint son zénith à midi, la nuit nous dispense du voyage aux Antilles, la nuit apporte à l’homme de la pratique et de la sordidité utilitaire sa ration journalière de rêve et de poésie ; et comme il faut deux moitiés pour faire un tout comme le masculin et le féminin se complètent pour constituer l’humain total, ainsi il faut que l’hémisphère de minuit succède à l’hémisphère de midi pour composer une existence d’homme.

L’alternance indéfiniment répétée de la nuit et du jour prouve donc qu’il n’y a pas un royaume onirique en marge de la vie normale, mais au contraire que les lois de la nuit, la logique de la nuit, les modes d’être de la nuit sont, comme chaque sexe pris à part, un des deux complémentaires de l’Être complet. À nos déceptions de midi chaque soir infatigablement apporte une chance nouvelle, une compensation, une possibilité poétique !

 

Vladimir Jankélévitch, Gabriel Fauré, Ses mélodies, Son esthétique (Paris, Plon, 1938), p. 270s.

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