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Le bonheur de la lune

Aimez-vous la lune ? Avez-vous déjà imaginé que, mine de rien, elle nous est précieuse ? Que ferions-nous sans aucune de nos nuits sans lune ? Et qui s’en soucie ? Qui la regarde, cette modèle de fidélité ? À la campagne, dans un rang, lors de nos nuits profondes, elle est tout à fait seule avec le ciel étoilé à nous accompagner. Elle rend la nuit heureuse, confortable. Elle veille pour nous.

L’anthropologue Serge Bouchard s’y arrête un brin. Extrait.

Prenons la lune, ce petit fait divers perdu au fond d’un immense univers. C’est un débris de rien où rien n’arrive depuis un char de millénaires sinon quelques météorites qui lui font des cratères sans pour autant faire du fracas. Ne sommes-nous pas portés à croire que rien n’est plus tranquille que la tranquillité lunaire ? Nous la voyons sans atmosphère, sans intention et sans idée. (…)

Elle est la boule de nos remords, la source de nos nostalgies, la fin de nos appels de nuit. Si la lune nous semble si abordable, c’est qu’elle diffuse la douce brillance de nos penchants et intuitions tandis qu’il est notoire que nul ne regarde directement le soleil tant il est tranchant pour ne pas dire insupportable l’éclairage de la raison.

Le jour brûle, la nuit soigne. Pour sa douceur et ses bons conseils, la lune est méprisée par les tenants de la clarté. Ce n’est pas difficile, un rien l’éclipse, un rien la voile. La rigueur la combat parce que la rigueur se méfie de ses imprécisions, de son bleu reflet quand elle est pleine et qu’elle sème dans le fleuve les diamants de sa confusion. […]

Sans la lune dans nos entourages, nous serions bien mal pris force est d’admettre que tout ce qui vient d’elle est réfléchi, songé et soupesé. C’est la seule chose dans le ciel qui ait l’art de reluire sans pour autant briller. Si elle se décrochait, cela ferait un grand trou noir dans le ciel de nos jongleries.

Cette lune mystérieuse, qui brasse le liquide et qui agite l’eau, est la cause de nos vagues à l’âme. Elle est la complice de nos étourderies. Maîtresse du penchant et déesse de la nuit, elle marie l’ange et le démon au sein de notre inspiration, au gré de notre imagination. Elle influence tout ce qui vit, tout ce qui veut, tout ce qui voit; elle a une prise sur la vision. Que ferions-nous sans sa patience ?

 

Serge Bouchard, Le moineau domestique, Histoire de vivre, Montréal, Guérin littérature, 1991.

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