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Qui y a-t-il à voir chez Madame Renaud ?

heleneSous le titre «Un phénomène vivant», La Patrie du lundi 19 novembre 1883 y va de cette annonce :

On exhibe en ce moment à Québec, chez une femme Renaud, vis-à-vis l’hôtel Windsor, rue St-Nicolas, au Palais, une fille nommée Pâquet qui n’aurait ni jambes, ni cuisses.

Elle est assez jolie et mise avec coquetterie. Elle dit venir de Windsor, Ontario, et être âgée de 17 ans, quoiqu’elle en paraisse 23.

Certes, une femme ainsi dépourvue de ses membres inférieurs, si elle n’est pas enviable, mérite au moins que la science médicale s’en occupe.

Il doit être non seulement intéressant mais aussi fort important d’analyser les raisons, les causes et les circonstances d’un phénomène aussi bizarre.

 

Et le quotidien montréalais nous quitte ainsi. Mais sans doute que son correspondant a eu le commande d’y aller pour nous. Et c’est ce qui fut fait.

Un passant qui se laisse séduire par les placards alléchants collés dans les vitrines de Madame Renaud, rue St-Nicolas, se dit en lui-même : Allons, c’est bien peu 10 cents, entrons voir cette merveille des temps présents; décidément, je n’aurais pas un brin de curiosité en passant outre.

On entre. Une demoiselle s’informe du motif de la visite. C’est le désir de madame, dit-elle, que l’on paie d’avance. Madame connaît le proverbe : un je tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

L’exhibition se fait dans une chambre à coucher plus longue que large. En y entrant, on peut faire un pas, mais si l’on risque le troisième, on se heurte au lit. Le spectateur est à quatre ou cinq pieds de distance du phénomène. Un énorme madrier protecteur l’empêche d’aller plus loin.

Deux lampes à l’huile de charbon, placées près du curieux, éclaire la scène et voici ce qu’on contemple :

Une jeune fille vêtue de mousseline rose, peut-être trop diaphane à certains endroits, se balance coquettement sur une chaise mobile. Entre elle et le spectateur, une gaze légère a été suspendue pour rendre la lumière encore plus difficile. On ne voit la jeune fille que jusqu’à la ceinture. Le secret est dans l’ombre. La jeune fille est assez jolie; elle a 17 ans, nous dit-on. Difficile à croire; à cet âge, une fillette est plus fraîche et plus vermeille, on le constate tous les jours. Mais enfin les tribulations de toutes sortes, les soucis de la vie peuvent l’avoir fanée avant le temps, on lui donnerait 25 ans.

Quand on voit ça, si l’on se rappelle encore les promesses des placards, la surprise nous empoigne aux cheveux et l’on demande à la femme Renaud : Pourquoi exhibez-vous cette jeune fille ? C’est le secret, répond la maîtresse du logis.

La fille Pâquet a ses deux jambes comme vous et moi, mais le secret consiste à ne laisser voir que la partie supérieure du corps. On sort ahuri et l’on est tenté de dénoncer l’imposture à la police.

 

La Patrie (Montréal), 24 novembre 1883. Cet article fut publié d’abord dans Le Canadien (Québec), édition du 22 novembre 1883.

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