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Tiens donc, une légende maintenant liée à la Sainte-Catherine (premier de deux billets)

coletteQui l’eût dit ? À la Sainte-Catherine. Et elle est d’un écrivain québécois que j’aime beaucoup, Charles-Marie Ducharme. Originaire de Trois-Rivières, parti très jeune à 26 ans, le 10 novembre 1890, lui qui promettait tant. Il est maintenant complètement oublié et je travaille à le ramener dans notre monde.

Nous assistons ici à la naissance d’une légende autour de la Sainte-Catherine, À la Sainte-Catherine. La voici en deux volets.

* * *

À la Sainte-Catherine.

Colette ne voulait point coiffer sainte Catherine !

On le savait depuis longtemps au village des Rassis, aussi chaque année, les malins qui la voyaient toujours sans amoureux ne manquaient-ils pas d’aller lui présenter leurs plus sincères condoléances.

Ils se préparaient encore en 187… à recommencer leur sempiternel refrain, sous la fenêtre de la belle découragée quand, dès la matinée du 25 novembre, une nouvelle incroyable, stupéfiante, se répandit par tout le village : Colette avait avoué en secret, à une intime, que c’était sa dernière Sainte-Catherine, et que la journée ne se passerait point sans que l’on vit du nouveau.

Quel «nouveau» pouvait-il y avoir ? Colette allait-elle se marier ?

On devine si les commérages allaient leur train. D’où venait le futur ? était-il blond, châtain, brun ou roux ? avait-il un air gauche ou gracieux ? était-il riche ? Nul ne le savait, car pour tous, jusque là, l’amant de Colette était resté invisible. Pour la première fois, la fiancée avait été discrète, et tellement discrète qu’on ne savait pas encore comment elle avait pu garder son secret aussi longtemps.

Mais la journée n’était pas finie, et les commères devaient passer par bien d’autres surprises.

À peine midi sonnait-il au clocher, qu’on vit un commissionnaire s’arrêter de porte en porte , et déposer à toutes les maisons de la localité, des cartes d’invitation pour un parti de tire chez… personne ne le croyait, plusieurs allèrent acheter des lunettes, d’autres en empruntèrent… chez Colette ! ! !

Évidemment, la fin du monde était proche. Colette faire des invitations, et générales encore ! mais où mettrait-elle tout ce monde ! comment pourrait-elle le recevoir décemment ? elle n’avait pour tout abri qu’une vieille masure à peine soutenue par des poutres vermoulues; elle habitait, seule avec son frère, un bossu, qu’on évitait pace qu’il avait la réputation de jeter des maléfices; et puis, quel mobilier primitif garnissait leur intérieur : une table, des chaises, un poêle et quelques bottes de foin !

On avait donc grande hâte de voir le soir arriver, afin d’avoir la clef de toutes ces énigmes.

Il vint enfin, avec des flocons de mousses blanches qui voltigeaient dans les airs comme des touffes de blanc duvet que la brise promène sous la feuillée, aux premiers effluves du printemps, et ce fut en foule qu’on se rendit chez Colette. Là, nouvelle surprise. Les invités furent un bon quart d’heure sans se reconnaître. Si la chaumière de Colette était restée la même à l’extérieur, l’intérieur avait subi une transformation grandiose… féérique. Les poutres vermoulues avaient disparu sous des lambris dorés; des colonnes de marbre, enguirlandées des roses les plus fraîches et les plus odoriférantes, soutenaient une voûte teinte d’azur et étoilée de marguerites et de boutons d’or; des massifs de fleurs rares et de ramilles de sapins, disséminés çà et là dans ce nouveau parterre, digne pendant du jardin d’Armide [une enchanteresse], remplissaient l’enceinte des parfums les plus suaves et les plus aromatiques.

Ce qui surprit encore davantage les invités, ce fut Colette elle-même : rajeunie, embellie, gracieuse comme une sylphide, blanche comme un lys, elle qui était si noire auparavant.

Il n’y avait plus moyen d’en douter, l’amant de Colette devait être un grand prince, un prince riche et puissant, mais on ne le voyait nulle part ! où était-il donc ? se cachait-il derrière ces riches tentures aux plis enchanteurs qui masquaient les fenêtres et les portes; se conservait-il pour la fin de la soirée, afin de créer une sensation ?

Tout semblait l’indiquer. En attendant, les commentaires allaient leur train. Les jeunes filles étaient émerveillées de la grâce de Colette, et auraient donné tout ce qu’elles possédaient pour être belles comme elle, une minute seulement… une seconde. Quand aux anciens, ils hochaient la tête, en se disant que tout ce qu’ils voyaient n’était pas naturel, qu’il devait y avoir du sortilège quelque part, et que cela pourrait bien finir par tourner mal.

Un fait surtout semblait leur donner raison, c’était l’isolement de Colette. Les jeunes galants du village auraient été au comble de leurs désirs, s’ils avaient pu seulement s’approcher de Colette, et la prier d’avance de danser avec eux, vers la fin de la fête; malheureusement, Colette restait inabordable, et, après bien des efforts réitérés et des tentatives toujours infructueuses, les plus braves durent céder devant le cercle infranchissable qui semblait maintenir la reine de la soirée hors de toute atteinte. Et pourtant, elles les invitait à s’approcher, leur adressait ses plus charmants sourires, elle se permettait même des minauderies, et soulignait son gracieux babil des moues les plus séduisantes.

La suite de cette légende : demain.

Le Monde illustré (Montréal), 24 novembre 1900.

L’illustration est d’Edmond-J. Massicotte.

Sur Ducharme, voir ces billets.

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