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Comment ne pas revenir sur le bonheur de la Terrasse à Québec (quatrième et dernier billet)

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Depuis trois jours, nous prenons plaisir au grand texte de Cléophe sur la terrasse Dufferin, en particulier les soirs d’été. Ici, il termine en chantant la nuit.

Dans les villes ordinaires, les promenades publiques, avec leurs étouffantes haies d’arbres, peuvent offrir un aspect plus tapageur, plus enjoué peut-être. Mais Québec n’est pas une ville ordinaire. Sa Terrasse, bâtie en surplomb sur le fleuve, a de l’horizon, du ciel; le soir, elle prend pour elle la bonne moitié du parapluie d’étoiles étendu sur nos têtes. Aussi ses spectacles sont-ils empreints d’une majestueuse mélancolie, invitant plutôt au recueillement, à la méditation, qu’aux frivoles distractions.

 Que font ces milliers de spectateurs qui restent pendant des heures assis en rangs d’oignons sur les banquettes ou accoudés aux balustrades, comme dans un jubé d’église ou sur un balcon de théâtre ? Ils ont l’air d’attendre quelque chose. Le lever du rideau ou le sermon ? Dans la petite ville où j’ai été élevé, l’unique amusement du soir était d’aller voir allumer les réverbères de gaz. Ici, l’on peut voir sans se déranger de sa place, à peu près tout ce qu’il y a d’étoiles dans le ciel s’allumer les unes après les autres.

Les levers de lune y sont féériques; leurs rayons obliques tracent à travers le fleuve une travée de pont sur laquelle la pensée fait circuler ses trains les plus rapides. Le voisin d’en face a cessé de s’éclairer à la bougie; sa nuit se pique maintenant de constellations électriques. Le concert est commencé : on a sous les yeux la partition même. La côte de Lévis s’étend à perte de vue comme une gigantesque portée de musique écrite en notes de feu. Gammes chromatiques, arpèges, accords plaqués, dissonances troublantes, tout y est; là-haut, au sommet, j’aperçois un triolet qui doit être beau, M. Vézina devrait mettre cela en musique.

Et c’est comme cela tous les soirs chez vous ? tous les jours fête ? vont écrire les abonnés du «Soleil» qui n’ont jamais vu Québec, ni sa Terrasse, qu’en image. Mais oui, braves gens; nous aurons d’autres habitants du vieux rocher de Québec que sir Wilfrid a si éloquemment prôné en Europe, nous marchons sur l’asphalte le plus propre, nous nous nourrissons de l’éther le plus pur, nous absorbons chaque jour, par induction, des quantités incroyables d’électricité, ce qui nous permet de gravir la Côte Lamontagne trois fois par jour sans palpitations, de bâtir le plus grand pont, et de posséder la plus belle terrasse du monde.

Pour terminer cette petite fantaisie par une idée qui peut avoir son côté pratique, invitons les meilleures fanfares du continent à venir jouer ici l’été prochain à tour de rôle, à l’exemple de celles de Sherbrooke, de Lewiston et d’Albany. La Terrasse de Québec est assurément la plus belle tribune où ce genre de talent puisse se produire.

Cléophe.

 

«Les soirées de la Terrasse. Réminiscence d’été», Le Soleil (Québec), 27 octobre 1902.

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