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Comment ne pas revenir sur le bonheur de la Terrasse à Québec (troisième de quatre billets)

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Depuis 48 heures, nous prenons plaisir au grand texte de Cléophe sur la terrasse Dufferin, en particulier les soirs d’été. Poursuivons.

Un autre grand point magnétique est le café du Château Frontenac, avec son orchestre ronflant et ses tables en plein air, abritées par un large auvent piqué d’ampoules électriques multicolores. C’est un petit coin de Paris transporté ici par enchantement; on se croit au Café de la Paix, près de l’Opéra.

Ces groupes attablés sous les fenêtres illuminées d’un édifice aux formes féodales, ces couples assis ou debout sur les marches du grand porche qui donne sur une mystérieuse cour intérieure, on ne voit cela que sur les images ou au théâtre. Il y a là quelque chose qui devrait tenter le pinceau de nos artistes.

Même sans musique, la Terrasse est intéressante à voir. Chaque soir d’été, que M. Joseph Vézina soit là ou non — et il doit l’être, las, après une saison où il s’est sacrifié pour le plaisir de son prochain, — c’est là que tout Québec se rassemble, on y vient chercher la santé, le repos, la distraction.

Les mamans viennent s’y raconter en confidences les tribulations qu’elles vivent avec leurs enfants, peut-être aussi avec leurs tyrans de maris. Ceux-ci, n’ayant sans doute rien à reprocher à leurs moitiés, s’entretiennent d’autres potins; ils discutent entre eux, fumant le cigare, des questions brillantes comme l’affaire Gaynor-Greene ou le moyen de se chauffer l’hiver prochain.

Les enfants, toujours insouciants de père en fils depuis la création du monde, sont les seuls qui fassent quelque tapage dans cette multitude, où deux agents de police suffisent pour maintenir le bon ordre.

Pour compléter le tableau, n’oublions pas la jeunesse d’avant le conjugo, en attendant lequel elle conjugue jusqu’aux subjonctifs les plus compliqués le verbe bien connu. Sous l’éclat lunaire des quinquets électriques, elle peut chanter avec à propos l’immortel duo de Gounod :

Lui : — Laisse-moi contempler ton visage sous la pâle clarté dont l’astre de la nuit, comme dans un nuage, caresse ta beauté,

Elle : — Ô bonheur ! ô mystère ! Enivrante langueur ! J’écoute et je comprends cette voix solitaire, qui chante dans mon cœur.

 

«Les soirées de la Terrasse. Réminiscence d’été», Le Soleil (Québec), 27 octobre 1902.

La suite : le quatrième et dernier billet.

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