Skip to content

Clarice Lispector est un grand cri

Pour Clarice

Pour Clarice

Vous ne connaissez sans doute pas cette belle Clarice Lispector, partie alors qu’elle allait avoir tout juste 57 ans. Bien peu connaissent Clarice. Je l’aime beaucoup. Vous en saurez ici un bout sur elle.

Deux de ses livres ont été publiés en français aux Éditions des femmes, et un autre chez Gallimard. À peu près introuvables aujourd’hui, même chez les bouquinistes, du moins de ce côté-ci de l’Atlantique. À ne pas beaucoup laisser de traces chez les vendeurs de livres d’hier, les Éditions des femmes faisaient peur probablement. À moins que ces livres ne fussent si précieux que chacune-chacun les a conservés.

Femme ou homme, vous vous sentez seul, retrouvez Clarice, diable ! Elle accompagne du monde comme nous. Sa présence adoucit le cœur. Elle sait tellement nommer les choses, les passages obligés en particulier. On la lit et on constate qu’on ne savait pas que quelqu’un, quelque part, ait pu enfin coucher ces mots impossibles avec pourtant toute la tendresse qu’on peut mettre en bordant avec amour un jeune enfant au lit, le soir. Exemple. Attention !

Pour le moment, j’invente ta présence, de la même façon un jour je ne saurai pas non plus m’aventurer à mourir toute seule, mourir est le risque majeur, je ne saurai pas franchir le seuil de la mort et faire le premier pas dans la première absence de moi — à cette heure ultime aussi j’inventerai ta présence inconnue, et en ta compagnie je commencerai à mourir, jusqu’à ce que j’aie appris toute seule à ne plus exister, et alors je te libérerai. Pour le moment, je m’accroche à toi, et ta chaude vie inconnue devient ma seule organisation personnelle, car sans ta main je me sentirais lâchée toute seule dans l’immensité sans mesure que j’ai découverte. Dans la démesure de la vérité.

 Mais c’est que la vérité pour moi n’a jamais eu de sens. Pour moi, la vérité n’a pas de sens. C’est pour cela que je l’appréhendais, et que je l’appréhende. Désemparée, je te livre tout cela afin que tu en fasses quelque chose de joyeux. Vais-je pour t’avoir parlé t’effrayer et te perdre ? Mais si je ne parle plus je me perdrai et, m’étant perdue, je te perdrai.

 La vérité n’a pas de sens, la grandeur du monde me rétrécit. Ce que j’ai demandé probablement et que j’ai finalement obtenu a eu pour résultat de me laisser démunie comme un enfant qui va seul par le monde. Si démunie que pour me consoler et me combler, il faudrait tout l’amour de l’univers, un amour tel que la cellule originelle de chaque chose finisse par vibrer sous l’effet de ce que je suis en train d’aimer un amour. De ce qu’en vérité je ne fais qu’invoquer, mais sans en voir le nom. […]

 Mais peut-être suis-je seulement en train de repousser le moment de parler ? Pourquoi est-ce que je ne dis rien, et me contente de gagner du temps ? […]

 

Vous avez compris que Clarice est fort exigeante. Et j’aime tellement. Elle est si loin d’une vie approximative, d’une vie d’à-peu-près.

Ce texte est extrait de la passion selon G. H. [sic, sans la majuscule pour le titre], [de Clarice, bien sûr], traduit du brésilien par Claude Farny, préface de Clélia Pisa, Paris, des femmes, 1978, p. 27s.

Cet ouvrage, comme Agua Viva, est dans ma bibliothèque de livres de sagesse, de l’époque du vieux temps, des années ‘70.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS