Skip to content

Arrivant à Montréal, la solution pour passer la nuit en famille, le parc Lafontaine

Dormir au parc lafontaine

Ou quand la campagne rencontre la ville.

Quittant une lointaine campagne pour venir s’établir dans une grande ville, laissant derrière elle le calme reposant des larges horizons et des bois profonds, une famille de six personnes a fait ses adieux au village de Saint-Roch de l’Achigan pour venir tenter fortune à Montréal.

Le père, la mère et leurs quatre enfants descendaient du train mardi matin et leur premier souci fut de trouver un logis. Un ami de St-Roch, qui avait déjà visité deux fois la métropole, leur avait donné une adresse d’un ami qui avait une maison à louer non loin de l’église St-Jean-Baptiste.

— Cela fera notre affaire, avait dit le chef de famille, nous n’aurons pas besoin de voiture pour aller à l’église et il paraît qu’il y a une école à moins d’un mille.

Tout le monde fut de son avis. On fit écrire au propriétaire de la maison en question par le bedeau, un homme très instruit, et le départ fut décidé.

 Nous les retrouvons donc frais débarqués à Montréal et cherchant leur logis en même temps que le propriétaire. Celui-ci, profitant de la belle température, avait sans doute été faire une excursion sur le fleuve, ou un tour à la montagne ou encore une visite au Parc Dominion, à moins qu’il ne fut tout simplement allé à ses affaires. En tous cas, il était absent et ses plaisirs ou ses affaires le retenant fort tard, il n’était pas encore rentré chez lui à neuf heures du soir.

Vous jugez de l’effarement de toute la famille seule dans la grande ville ? La mère proposa de chercher un hôtel pour y passer la nuit, mais son époux lui fit comprendre que les hôtels coûtaient fort cher et qu’on risquait de s’y faire voler. Son voisin, qui lit bien l’imprimé, avait affirmé qu’on voyait ça dans les gazettes.

Cependant, ces considérations sur la moralité de notre ville n’avançaient en rien la question très importante de se trouver un gîte et on marcha un peu à l’aventure pour chercher. Le long de la rue Rachel, la famille défila, admirant les magasins que le père trouva bien plus beaux que ceux de St-Roch.

À la vitrine d’un magasin de nouveautés, la mère contempla des indiennes [une variété de tissu] à six cents la verge, autrement plus belles que celles qu’on vend à St-Roch pour huit cents, mais le magasin était fermé.

Enfin, on arriva devant le Parc Lafontaine et le chef de cette intéressante famille, croyant avoir «de la ville atteint les bornes», dit, comme dans «La Conscience» : c’est bien.

Et il fut décidé à l’unanimité qu’on passerait la nuit là.

Pendant que les parents formaient un enclos de quatre bancs, les enfants opéraient des reconnaissances aux alentours. L’un d’eux découvrit le lac et rapporta de l’eau plein son chapeau. Un autre poussa une pointe jusqu’à la demeure de M. Pinoteau [le jardinier du parc] et affirma qu’il avait vu les édifices du Parlement.

T’es bête, lui dit son père, ça se trouve à Ottawa; notre député, M. Dugas, me l’a dit.

Bref, quant tout le monde se trouva réuni et entouré des quatre bancs, on mangea ce qu’il restait des provisions emportées dans le train, les enfants se couchèrent sur le veston du père et se couvrirent de la robe de leur mère.

Celle-ci se préparait à se coucher à son tour quand le constable spécial Rousseau fit son apparition. Vous dire la surprise du digne constable nous serait impossible. Il en bâillait…

Après avoir regardé l’heure deux fois (il était un peu plus de minuit), s’être pincé pour constater qu’il ne dormait pas, le brave fixa un œil courroucé sur la famille et dit : «Ça….. c’est pas correct ! ! !»

Le papa ne savait trop quoi dire. Il ne pouvait pas imaginer qu’on pût empêcher les gens de coucher dans les champs s’ils le voulaient et ne voyait pas comment il avait pu susciter l’ire de l’agent.

On s’expliqua tant bien que mal. Le bonhomme finit par comprendre que le Parc Lafontaine n’est ni un champ, ni une prairie, et toute la famille se dirigea, armes et bagages, vers le poste No 14, où elle passa la nuit.

Mercredi matin, le propriétaire était revenu de ses affaires, avait ouvert sa maison et ouvrit ses bras à la famille en détresse. Tout finit donc bien, la police ayant jugé qu’il n’y avait pas lieu de déposer plainte.

Mais voilà des gens qui se souviendront du Parc Lafontaine et de leur vigile de l’avant-veille de la Saint-Jean-Baptiste.

 

La Patrie (Montréal), 24 juin 1909.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS