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La vieille dame et son chat

Un chat et un mari

Que choisir ? Le chat ou le mari ?

J’entends des gens, qui vous disant et répétant à mes oreilles : «Pauvre demoiselle Hortance ! Comme elle doit se sentir seule et quel cuisant regret elle garde sans doute d’avoir coiffé Sainte Catherine [on disait d’une femme qui atteignait 25 ans sans être mariée coiffait Sainte Catherine].

Bonnes âmes, votre pitié me fait sourire en vérité ! Comme si tous mes amis ne savaient pas que nous sommes deux pour vivre la bonne petite vie que je mène — oui, deux ! Bonami, le plus beau et le meilleur des angoras à qui je ne fais pas l’injure de le comparer à un mari.

Un mari ! Un monsieur tout pénétré de son autorité légale et que jamais, j’en suis sûr, ne viendrait se coucher tout doucement sur mes pieds pour les réchauffer, comme Bonami !

Un homme orgueilleux de sa force, qui me battrait peut-être si j’avais le malheur de lui dire «Ne fais pas le gros dos» comme je le dis tous les jours à Bonami ! Un homme enfin qui choisirait pour me lutiner les jours où j’ai la migraine et qui se fâcherait probablement si je lui criais «Va à la cuisine retrouver ton lait»! comme je le disais encore tout à l’heure à Bonami.

L’odeur de la cigarette me suffoque et j’ai eu un prétendant qui voulait inscrire dans le contrat une collection de pipes admirables ! Bonami n’a jamais fumé et ce n’est pas sans doute en vieillissant qu’il prendra cette détestable habitude.

On dit que les femmes sont curieuses fureteuses, bavardes ! Parbleu ! ce sont les hommes qui le disent, mais je connais de ces messieurs qui mettent leur nez partout… Bonami, mon bon chat, ma pelote de fourrure, ne met le sien que dans son assiette quand il y reste un peu de crème, et c’est en somme les plus accommodant, les plus discret des camarades.

Et puis, quelle tristesse de voir un mari vieillir, se casser, se rider, et refléter ainsi à toute minute ce que nous sommes devenues nous-mêmes, de pauvres petites vieilles, toutes ratatinées. Bonami, hélas ! n’est plus lui aussi dans la fleur des ans. Sa démarche est plus lente et certains soir il s’y reprend à deux fois pour sauter sur l’édredon, mais au moins, sous le long poil soyeux, je ne vois point ses rides, sa physionomie intelligente et expressive ne change pas, et, quand je lui ai mis son beau collier rose, il me fait encore une charmante illusion.

Il y a, paraît-il, de par le monde beaucoup d’époux qui, s’asseyant de mauvaise humeur à la table du déjeuner, disent tout de suite, avec parti pris : «Cette côtelette est mal cuite. Cette sauce, madame, est détestable. Décidément, ma chère, vous me voyez regretter mes crèmeries d’étudiant.»

Ah ! Bonami est plus facile à contenter et qu’avec éloquence il sait me dire, en happant sa fine pâtée : «C’est bon, c’est excellent ! J’en reprendrai encore».

Un mari. Oui, montrez m’en un qui ait seulement la moitié des qualités de mon chat, qui reste tout le jour tranquille et réservé, et qui n’aille pas, la nuit venue, courir les bals, qui soit doux comme Bonami et fidèle comme Bonami.

Oui, trouvez-moi cet oiseau très rare, ou plutôt non ! ne me le trouvez pas, car, entre un bon époux et mon bon chat, je crois que je balancerais encore !….

VIEILLE FILLE.

 

La Patrie (Montréal), 10 février 1906.

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