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Le vent du nord-est

page couverture A N montpetitQui sait que le journaliste André-Napoléon Montpetit (1840-1898), touche-à-tout, a publié durant les années 1870 une série de manuels scolaires pour le développement de la lecture chez les écoliers québécois ?

J’aime bien ce Montpetit, il m’apparaît être le grand-père de la génération de naturalistes québécois des années 1930-1940. Il semble que personne ne le connaisse, lui qui pourtant a fait œuvre fort utile.

Dans son quatrième livre de la nouvelle série de livres de lecture graduée publié en 1877, il propose 125 textes fort variés, repêchés à gauche et à droite. L’un d’entre eux de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau porte sur le vent du nord-est, le «nordet». Mais où diable Montpetit a-t-il trouvé ce texte de celui qui fut, en 1867, le premier premier ministre du Québec ? Le voici.

C’est pour le district de Québec une véritable fléau que le vent du nord-est. C’est lui qui, pendant des semaines entières, promène d’un bout à l’autre du pays les brumes du golfe [du Saint-Laurent bien sûr]. C’est lui qui, au milieu des journées les plus chaudes et les plus sèches de l’été, nous enveloppe d’un linceul humide et froid, et dépose dans chaque poitrine le germe des catarrhes et de la pulmonie.

C’est lui qui interrompt par des pluies de neuf ou dix jours tous les travaux de l’agriculture, toutes les promenades des touristes, toutes les jouissances de la vie champêtre. C’est lui qui, durant l’hiver, soulève ces formidables tempêtes de neige qui interrompent toutes les communications et bloquent chaque habitant dans sa demeure. C’est lui enfin qui, chaque automne, préside à ces fatales bourrasques, causes de tant de naufrages et de désolation, à ces ouragans répétés et prolongés qui à cette saison rendent si dangereuse la navigation du golfe et du fleuve St. Laurent.

Dès qu’il commence à souffler, tout ce qui dans le paysage était gai, brillant, animé, velouté, devient terne, froid, morne, silencieux, renfrogné. Un ennui, un malaise décourageant pénètre tout ce qui vous touche et vous environne. Bientôt des brumes légères, aux formes fantastiques, rasent en bondissant la surface du fleuve. Ce n’est que l’avant-garde de bataillons plus formidables qui ne tardent pas à paraître.

Alors vous chercheriez en vain un rayon de soleil, un petit coin de ce beau ciel bleu, si limpide qui nous plaisait tant. Sur un fond de nuages d’un gris sale, passent rapides comme des flèches ces mêmes brumes qui se succèdent avec une émulation, une opiniâtreté désolante. On dirait plutôt la blanche fumée du canon, tantôt la fumée noire d’un bateau à vapeur. Tantôt elles dansent comme des fées capricieuses, aux vêtements d’écume, sur la crête des vagues, tantôt elles passent dans l’air d’un vol assuré, comme d’immenses oiseaux de proie.

Quelquefois leur vitesse semble se ralentir, elles paraissent moins nombreuses; déjà vous croyez entrevoir en quelques endroits une lumière vive, comme celle du soleil, vous apercevrez même à la dérobée quelque chose de bleuâtre qui ressemble au firmament, vous vous dites que les brumes s’épuisent, que vous allez bientôt en voir la fin : vous vous trompez, elles passeront toujours. Le golfe en contient un inépuisable réservoir. […]

Pendant tout ce temps, la pluie tombe comme dans les plus grandes averses. La fureur du vent se maintient à l’égal des ouragans les plus terribles. Il semble que le désordre est devenu permanent, que le calme ne pourra jamais se rétablir. Cependant, cela cesse; mais alors recommence l’ennuyeuse petite pluie froide, plus désagréable et plus malsaine que tout le reste. Enfin, un bon jour, sur le soir, éclate une épouvantable tempête; ce n’est plus le vent du nord-est seul : tous les enfants d’Éole sont conviés à cette fête assourdissante. C’est ce qu’on nomme le coup du revers. Cela termine et complète la neuvaine de mauvais temps.

P. J. O. Chauveau.

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