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Voyage à Lhassa, dépaysement assuré

Milarepa

Le Tibet, pays bouddhiste, a été convoité par bien du monde. Au début du 20e siècle, les Anglais l’espèrent, en particulier pour pouvoir y vendre leurs surplus de thé produit dans leurs plantations de la région indienne de Darjeeling et au Ceylan. Voilà le prétexte d’un article sur Lhassa, la Cité interdite, dans la presse occidentale de l’époque. Le quotidien montréalais La Patrie nous l’offre le 18 décembre 1903. Extraits.

Comme chacun sait, le Tibet est un pays fermé, et très peu d’explorateurs ont pu pénétrer en ce mystérieux État du dalaï-lama de Lhassa, qui, entre l’Inde britannique, la Chine et l’empire russe, occupe une des plus vastes et des plus hautes régions du monde.

 Seuls, le voyageur anglais Thomas Manning en 1811 et les missionnaires français Huc et Gabet en 1846 y parvinrent à la faveur d’un déguisement et pour y rester à peine quelques jours jusqu’à Lhassa. On sait que, depuis lors, aucun explorateur européen n’a pu s’approcher à moins de 100 kilomètres de la cité interdite (expédition de Bonvalot et du prince d’Orléans, 1889).

 Aussi, devant l’insuccès de ces voyages, force était de recourir, pour tous les renseignements, aux relations des Hindous envoyés par le gouvernement anglais. D’autre part, de nombreux pèlerins bouddhistes, Mongols, Bouriates ou Kalmouks, sujets russes, se rendaient tous les ans à leur «Ville sainte». Et, comme ces temps derniers, à l’opposé de ce qui se passait jadis, de grandes facilités de voyage leur furent accordées par le tsar; l’un d’eux, Ovché Narzounoff, put rapporter, de son pèlerinage, non seulement des observations précieuses mais encore des photographies.

 Or ces photographies sont les premières que nous ayons de Lhassa, avec ses temples aux toits dorés, ainsi que du Potala, résidence du dalaï-lama, vaste ensemble d’édifices et de temples, à la fois citadelle et palais, s’élevant sur la montagne sacrée Mar-bo-Ri, située à peu de distance à l’ouest de la ville.

 Un grand nombre de monastères entourent Lhassa; des milliers de moines étudient la théologie, la médecine, et assistent à des offices interminables. Les pèlerins, venus de tous les coins du monde bouddhiste, forment à Lhassa une population flottante qui, à certain moment, dépasse, comme nombre, la population fixe, estimée à 10,000 hommes.

 Tous sont animés d’une foi qui va jusqu’au fanatisme; quelques-uns, en effet, font le tour de Lhassa, en mesurant avec leur corps le périmètre de la «Ville sainte». […]

 Mais Lhassa n’est pas seulement un centre religieux; le commerce occupe aussi la cité. Les Chinois, les Hindous et les Népalais, qui trafiquent en cette ville, ne rencontrent comme concurrents, dans la population indigène, que des femmes. Sur les marchés, comme sur les routes qui mènent de la «Ville sainte» aux couvents d’alentour, on ne voit que des femmes étalant ou transportant sur leur dos, dans de grands sacs, diverses marchandises.

Mais pourquoi les Anglais cherchent-ils à atteindre Lhassa ? La raison est plutôt économique que politique. À force d’augmenter ses plantations de thé à Darjeeling comme à Ceylan, l’Angleterre voit avec anxiété les marchés ordinaires incapables d’absorber la surproduction de cette denrée et cherchent de nouveaux débouchés.

Or, les Tibétains font une ample consommation de thé. Mais celui-ci leur vient de Chine par la route de Tsien Lu, sur laquelle passe, annuellement, pour plus de 4,000,000 de francs de thé, tandis que le thé indien est frappé d’un droit prohibitif. Il est donc tout naturel que les Anglais cherchent à vendre leur thé dans un pays qui est à peine à 200 kilomètres de leurs possessions.

 

La gravure est extraite du livre Milarepa ou Jetsun-Kahbum, Vie de Jetsün Milarepas, traduite du tibétain par le Lama Kazi Dawa-Samdup, traduction française de Roland Ryser, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient, 1973.

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